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Ma dose de cinéma

Iwo Jima par Clint Eastwood - Il n'y avait que lui pour oser faire ça

Publié le 29 Mars 2024 par Gaffeur in Guerre, Historique, Japon, Ken Watanabe, Clint Eastwood

Une affiche bien trompeuse qui entend bien déjouer nos attentes

Une affiche bien trompeuse qui entend bien déjouer nos attentes

Aaaah... Les ricains et la Seconde Guerre Mondiale. Je ne sais pas si c'est parce que c'est la dernière qu'ils ont sans conteste gagnée mais on peut dire que Hollywood a su voir dans le sujet un filon quasi-inépuisable pendant de nombreuses décennies. 

Pour l'anecdote il n'était d'ailleurs pas rare de voir des films tournés alors que le conflit était toujours en cours, ainsi en cherchant bien vous pourrez trouver le film Gung Ho avec Robert Mitchum qui a été tourné en 1943 avec des acteurs mexicains filmés dans l'ombre pour jouer le rôle des japonais dont on se doute bien qu'il était impensable à l'époque pour un studio de faire tourner des comédiens nippons. 

Pendant de nombreuses années la Seconde a été l'occasion pour de nombreux cinéastes de coller des étoiles dans les yeux du public avec des leçons d'héroïsme bien épiques, rappelons nous de L'Enfer est pour les Héros où Audie Murphy jouait son propre rôle sans oublier les légions de classiques où les GI's étaient toujours les cools venus battre l'envahisseur à plate couture.

Rares ont en revanche été les oeuvres à avoir un point de vue très objectif sur le comportement des soldats et l'impact de la guerre à proprement parler. Certes Sam Peckinpah avait frappé un grand coup en plaçant sa caméra dans le camp allemand pour Croix de Fer mais ses personnages affrontaient les russes et non les américains, de même que si Il Faut Sauver le Soldat Ryan aura toujours pour ma part une place à part pour avoir été le premier à montrer la boucherie des combats de manière aussi franche les américains du film restent de gentils gars dotés d'un sacré sens du devoir.

Il aura ainsi fallut attendre 2006 avec ni plus ni moins que le légendaire Clint Eastwood aux commandes du projet pour que le conflit soit enfin abordé de façon audacieuse et objective par un cinéaste américain. 

Car en octobre sortait Mémoires de Nos Pères dont la belle affiche inspirée du cliché des marines plantant le Stars and Stripes au sommet du Mont Suribachi nous annonçait un truc bien pro US.
Mais non seulement le film était loin de l'oeuvre de propagande habituelle, mais en plus il fut suivi quelques mois plus tard de Lettres d'Iwo Jima, un film tourné simultanément qui se déroulait cette fois-ci du point de vue des soldats japonais, une grande première pour le cinéma hollywoodien !

Chose rarement montrée aussi frontalement : les hommes étaient très jeunes

Chose rarement montrée aussi frontalement : les hommes étaient très jeunes

Les hommes derrière les soldats

Débutant par un père de famille rendant visite à son géniteur sur ce qui sera certainement son lit de mort, Mémoires de nos Pères ne compte pas jouer dans la même cours que les précédentes oeuvres guerrières sur la Seconde Guerre Mondiale. 

Ici on ne débute pas sur une séquence de grand spectacle avec pyrotechnie et centaines de figurants couverts de sang et pourtant la simple vue de ce vieillard appelant un de ses frères d'armes pendant son sommeil suffit à nous faire imaginer l'enfer traverser par les soldats pendant la bataille d'Iwo Jima. 

Mais la volonté de Clint Eastwood d'aborder la guerre sous un angle plus humain et moins glorieux ne va évidemment pas s'arrêter là et le réalisateur enchaînera les idées pour offrir un film de guerre qui déjoue les habitudes du spectateur. On pense ainsi à cette séquence où l'on pense que trois marines sont en train d'escalader le Mont Suribachi sous les bombardements alors qu'il ne s'agit que d'une reconstitution située dans un stade. 

Alors attention ne croyez pas pour autant que le film ne sera pas un grand spectacle car de l'action croyez moi vous allez en avoir et de ce côté là le débarquement sur le sable noir de la minuscule île japonaise fera partie des moments les plus dingues jamais mis en boîte par un cinéaste.

Entre la reconstitution parfaite de l'armada, les figurants qui tombent par dizaines et les balles qui fauchent des soldats beaucoup trop jeunes, les scènes de bataille sont sans pitié et n'épargnent aucune image choquante au public.

Un choc renforcé par le choix de Eastwood de ne faire appel qu'à de jeunes comédiens pour camper les fantassins, ainsi contrairement au Soldat Ryan qui nous sert en grande majorité des soldats endurcis et d'un certain âge le film n'a pas peur de montrer une jeunesse fauchée par la cruauté de la guerre. Ce qui sera le cas de le dire car les morts du film ne seront jamais iconiques ou glorieuses : la plupart du temps les hommes tombent parce qu'ils sont au mauvais endroit, au mauvais moment et Eastwood ne s'attardera pas trop sur les corps comme pour appuyer le fait qu'il faut continuer à se battre sans regarder derrière. 

De plus le trio principal est assez original puisque les figures historiques John Bradley, Ira Hayes et René Gagnon n'ont pas les fonctions habituelles du soldat de cinéma : le premier est infirmier, le second est un navajo et le dernier une estafette qui n'a vu que très peu de combats. 

Mais ces trois personnes avaient pour point commun d'avoir planté le drapeau au sommet du Mont Suribachi, et par conséquent la propagande s'est très vite emparée du sujet, consciente du business qu'il y avait à se faire.

La propagande sans filtre

Clint Eastwood consacre ainsi une bonne partie du film à la campagne publicitaire à laquelle ont du participer les trois vétérans à l'issue de la bataille et non seulement l'idée est excellente et permet de tailler un maximum les politiciens et les élites bien planqués derrière leurs petits fours mais en plus cela apporte une information assez dingue : qui sont vraiment les hommes sur la photo ? 

Nul doute que cet aspect a du faire grincer quelques dents en Amérique lors de la sortie du film, imaginez un peu la photo la plus célèbre de toutes les photos de guerre aurait été faite deux fois ? Il y a de quoi faire recracher sa Bud par les narines à n'importe quel Texan.  

Le plus fort dans tout ça c'est que Eastwood aurait pu choisir n'importe quelle bataille du Pacifique et créer des personnages fictifs à partir des vrais vétérans, mais non seulement il ne l'a pas fait mais en plus il s'est attaqué à Iwo Jima qui est une véritable institution pour l'Amérique. Pour l'anecdote le film Les Sables D'Iwo Jima avec John Wayne est toujours projeté aux nouvelles recrues des marines, avec cette séquence finale du levé du drapeau et les hommes qui sous le feu concluent le film en disant "bon sang ce qu'il est beau notre drapeau". 

Mais avec son film Eastwood remet la propagande à sa place et va très loin pour dénoncer sa cruauté, notamment à travers les personnages de Hayes et Gagnon dont les destins seront aussi tragiques que pathétiques surtout pour Hayes qui était navajo et qui en dépit de son statut de héros se voyait refuser l'accès à certains établissements. 

A l'arrivée on se demande quels ont été les moments les plus durs du film ? Ceux où les soldats recevaient sur eux les têtes de leurs compagnons pendant le débarquement ou bien toutes ces mondanités où des gens pétés de frics se servaient d'eux pour financer une guerre où ils ne mettraient jamais les pieds ? 

Alors je sais, à ce stade vous vous demandez pourquoi je n'ai pas dis un mot sur les japonais alors que c'est l'idée de ce diptyque de rendre hommage aux combattants du Soleil Levant mais justement, ce film était celui des américains donc nous allons passer au deuxième volet !

Le film qui rend enfin hommage aux japonais

Le film qui rend enfin hommage aux japonais

La véritable audace de Clint Eastwood

Le premier volet était une oeuvre guerrière au ton plus politique que la moyenne, cette suite quand à elle est presque une provocation de la part du cinéaste envers ses concitoyens. 

Non parce que faire un film situé de l'autre côté de la barrière pendant la Seconde Guerre Mondiale est une chose, mais là on ne parle pas de montrer les allemands qui sont les ennemis "classiques" de ce genre de film. 
Non là on parle des japonais.
On parle de la seule armée à avoir attaqué l'Amérique sur son sol à Pearl Harbor le 7 décembre 1941 avec un bilan humain catastrophique pour l'US Navy. 

Et si les américains ont attendu Oppenheimer pour réaliser que leurs officiers avaient liquéfié gratuitement 200 000 civils à Hiroshima et Nagasaki ils ont toujours eu un très mauvais souvenir de Pearl Harbor. 

Alors depuis le soldat japonais au cinéma était un salopard planqué dans un trou qui n'a rien mangé depuis huit jours, qui attendait depuis des heures le pauvre petit GI innocent qui passerait en premier pour le poignarder comme le traître qu'il est... Mais pas chez Eastwood.

On découvre dans ce film des soldats japonais certes rigoureux et très disciplinés, mais qui avaient eux aussi une vie, un foyer et une famille auxquels la guerre les a arrachés. Des hommes qui eux aussi sont morts parfois bêtement, parfois courageusement mais qui n'étaient pas des cibles dénuées de sentiments et qui se sont battus pour les mêmes raisons que leurs ennemis. 
Il a fallu attendre 60 ans pour ça mais Clint Eastwood rendait enfin hommage aux soldats japonais en les traitant comme les égaux des marines du film précédent.

Peut être est-ce pour cela que ce deuxième segment a carrément moins marché chez l'Oncle Sam ? Peut être que le premier volet avec ses allures anti-propagandistes avaient calmé le public friand d'histoires glorieuses ? Ou bien peut être que la séquence où des sentinelles américaines exécutent des prisonniers désarmés n'est pas passée du tout ? 

Quoiqu'il en soit l'échec de ce film au box office n'entache en rien sa qualité car je pense sincèrement qu'il s'agit d'un des meilleurs de son réalisateur. 

Comment les deux films se répondent

Vous pourriez croire que le choix de faire deux films illustrant chacun le point de vue d'un camp sur une même bataille n'est qu'un simple gimmick ou un prétexte pour faire deux fois plus de spectacle et de moments épiques, mais ce serait évidemment mal connaître Clint Eastwood qui n'a jamais fait les choses gratuitement. 

Car bien que ce soit plus subtilement abordé dans cet opus il sera également question d'endoctrinement et de propagande. 
Tandis que les américains découvraient la propagande dans le premier volet avec la photographie, les défilés, les reconstitutions et les fanfares les japonais eux l'avaient déjà vécue et intériorisée. 

En témoigne le personnage de Ryo Kase qui vient de la police politique et dont la froideur terrorise ses compagnons d'armes et les pousse à se méfier de lui. A l'instar des personnages du premier film, certains sont aveuglés par leur idéologie (l'officier qui semble absolument vouloir décapiter tout le monde) mais contrairement à l'arc américain le casting bénéficie d'un vrai sage en la personne de Ken Watanabe qui campe le général Kuribayashi et bon sang au milieu de tout ce chaos ce que ce personnage fait du bien !

Parce que vous vous en doutez étant donné que les japonais ont perdu la bataille et que la reddition leur était interdite (on parlait d'idéologie) le film ne va pas se terminer très bien pour 99% des personnages.

Mais là encore Eastwood saura déjouer les attentes quitte à parfois se montrer très ironique (l'un des rares survivants faisait partie de ceux qui voulaient à tout prix se sacrifier) et malgré toute la noirceur et le nihilisme des batailles (les trois quarts des affrontements voient les japonais foncer vers la mort sans plan) il parvient en une courte séquence à concentrer toute l'âme de ces hommes, et forcément les larmes coulent.

Cela commence par des hommes fatigués à court de munitions qui envisagent de se rendre. Et puis il y a ce message radio, et des chants d'enfants. Alors le souvenir de leurs enfants et le patriotisme des paroles des gamins les poussent à affronter leur sort. 

Et le film répond alors à la grande question que se posaient les personnages du premier volet : "Pourquoi ils ne se rendent pas ?"

Parce que ce n'était pas dans leur idéologie. 

 

L'un des meilleurs rôles de Ken Watanabe à Hollywood

L'un des meilleurs rôles de Ken Watanabe à Hollywood

Depuis la sortie de ces deux films la Guerre du Pacifique a fait son retour sur grand et petit écran : HBO a produit la mini-série The Pacific chapeautée par Spielberg et Tom Hanks, Mel Gibson a scotché tout le monde avec sa boucherie Tu ne tueras point... Et les traces de l'oeuvre de Eastwood étaient tout de même palpables. 

Sans jamais aborder les choses aussi frontalement qu'à travers les deux films de Eastwood, la guerre du Pacifique n'était plus réduite aux gentils américains venus se venger des barbares japonais. 

Certes aucune oeuvre n'a encore atteint la profondeur de ce diptyque mais on sent que les esprits américains ont changé, et pour ça on peut tirer notre chapeau à Clint parce que ce n'était vraiment pas gagné !

Notes :

Mémoires de nos Pères : 4/5

Lettres d'Iwo Jima : 5/5

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