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Ma dose de cinéma

Il Faut Sauver le Soldat Ryan - Toujours inégalé

Publié le 29 Juin 2023 par Gaffeur in Critique, Seconde Guerre Mondiale, Tom Hanks, Steven Spielberg, Matt Damon, Guerre

Quand rien que l'affiche colle des frissons, c'est qu'on tutoie les anges

Quand rien que l'affiche colle des frissons, c'est qu'on tutoie les anges

Récemment Tom Hanks a surpris tout le monde en déclarant au cours d'une interview qu'il estimait n'avoir fait que six ou sept bons films sur toute sa carrière.
Etant donné la richesse de la filmographie du bonhomme, on pourrait débattre pendant des heures pour savoir qui de Forrest Gump ou de Pinocchio arriverait dans le top (nan je déconne je n'ai pas vue cette daube de Pinocchio et vous non plus très certainement).
Il Faut Sauver le Soldat Ryan réalisé par Steven Spielberg en 1998 est à mes yeux la meilleure interprétation de Tom Hanks ainsi que le sommet de la carrière de Spielberg qui n'a jamais vraiment réussi à reproduire un film d'une telle intensité et perfection. 

La Seconde Guerre Mondiale, avant c'était propre

C'est qu'en y regardant bien le conflit 39-45 n'avait jamais été abordé aussi frontalement par un cinéaste. 
Il y a bien eu Robert Aldrich et son Attaque ! ou encore le cultissime Croix de Fer de Peckinpah qui auront osé faire autre chose que de la reconstitution héroïque de batailles célèbres, mais combien avons nous du bouffer d'oeuvres quasi-propagandistes façon Iwo Jima pour un seul The Big Red One (et encore seulement pour la version director's cut que je vous recommande fortement).

Mais contrairement à Aldrich et Peckinpah, Spielberg disposa d'un budget réellement digne d'un tel projet (Attaque ! est un film très fauché) et n'est pas venu couvrir les soldats allemands de crasse mais bel et bien les GI's du débarquement en Normandie. 

C'est ce budget et cette volonté de montrer l'horreur de la guerre associés au sens de la mise en scène de son réalisateur qui ont permis à Il Faut Sauver le Soldat Ryan d'entrer dans la légende en seulement 25 minutes. 

 

Je parie que vous pouvez entendre cette image

Je parie que vous pouvez entendre cette image

Chaos millimétré

Après un rapide flashforward au cimetière de Colleville, le montage nous plonge 50 ans plus tôt sur le littoral normand le matin du 6 juin 1944, plus particulièrement sur la tristement célèbre Omaha Beach dite "Bloody Omaha".

Spielberg fait monter la tension en privant le spectateur de toute vue d'ensemble pour tout de suite poser sa caméra au plus près des fantassins qui attendent de débarquer en priant, pleurant ou vomissant. 
Le capitaine Miller qu'interprète Tom Hanks motive sa section avec quelques consignes militaires qui semblent logiques, puis la rampe de la barge s'abaisse et les premiers hommes tombent sans avoir pu réaliser ce qui leur était arrivé. 

Ce n'était pas la première fois (ni même la dernière) que le débarquement en Normandie était reconstitué pour une oeuvre de fiction, mais c'était certainement la première fois qu'une telle bataille était abordée sans filtre. 

Avec sa caméra à l'épaule qui courre littéralement derrière les comédiens et qui brise même le 4ème mur (est-ce le caméraman que l'on entend souffler, ou bien est-ce un soldat ?) notamment en aspergeant l'objectif de sang, Spielberg signe le coup de maître de sa carrière : le spectateur a presque le réflexe de s'essuyer les yeux comme si le sang l'avait éclaboussé lui. 
Grâce à sa mise en scène immersive le réalisateur fait que vous n'assistez pas au débarquement : vous le vivez avec tout ce que cela inclut de moments traumatisants. 

Les balles sifflent pendant presque une demi-heure sans interruption, les soldats tombent par dizaines et ne grapillent que quelques millimètres entre chaque carnage tandis que le sang envahit progressivement le cadre pour recouvrir les personnages et le décor. 

Lors de la sortie des vétérans ont quitté les salles devant autant de réalisme, et le préado que j'étais lors de mon premier visionnage à l'âge de 12 ans a eu besoin de faire une pause une fois la bataille terminée. 
Certaines séquences ne s'oublient pas, cette très longue et sanglante introduction en fait partie.

Des hommes avant tout

Les détracteurs du film pourront avancer d'ailleurs que Spielberg a cramé beaucoup trop de munitions pour cette séquence et que le reste du film est moins mémorable. 

Il y aura un peu de vrai car bien que la passion du cinéaste pour cette époque se ressente tout le long des deux heures qui suivent, le choc ne sera pas reproduit aussi durement. Mais justement, le but du film est ailleurs. 

Car derrière l'enchaînement d'escarmouches dans les haies et avant la spectaculaire bataille de Ramelle se cache en fait un film presque intimiste qui va recentrer son histoire sur une poignée de soldats pour mieux en cerner les personnalités. 

C'est ici que Tom Hanks va servir l'une des compositions les plus incroyables de l'histoire du cinéma.
Habitué aux personnages sympathiques, l'acteur incarne cette fois-ci un soldat au rang particulier : celui de capitaine. 
Contrairement aux autres membres de la section qui vont plaisanter, donner leur avis sur leur mission ou encore laisser exploser leur émotion à la mort d'un camarade, le capitaine ne doit pas laisser paraître quoi que ce soit. 
On se surprend alors à découvrir un Tom Hanks strict qui semble apparemment insensible jusqu'à cette séquence terrible où son choix d'attaquer un nid de mitrailleuse coûtera la vie d'un des soldats. 
Semblant prendre la chose avec la pudeur due à son rang, Miller ordonne froidement à ses hommes de creuser les tombes avant de s'éloigner... Et de craquer une fois certain que personne ne le verra.
Un moment tout en retenue qui fera frissonner à peu près autant que le bruit des balles qui sifflent sur la plage au début. 

Pour l'une des rares fois dans l'histoire du cinéma de guerre, Spielberg propose de montrer les hommes derrière les uniformes et les galons.
Des hommes que le rôle dans l'escouade ne protègera pas et pour lesquels Spielberg ne doit pas montrer de pitié afin de respecter ceux qui sont tombés en 1944. 

Aucune des pertes essuyées par le groupe ne sera rapide, et aucun grade ou poste ne mettra les personnages à l'abri du feu allemand. 
Les hommes suent, ont peur, pleurent, font des erreurs et ne peuvent pas compter sur le lyrisme d'un scénario hollywoodien pour sauver un compagnon d'une hémorragie.
Sans voyeurisme Spielberg implique là encore son public en supprimant brutalement et lentement les hommes auxquels il nous a attaché en ne nous épargnant aucun détail de leur agonie. 

La Normandie, deux fois l'Espace... Faut toujours aller le sauver celui là !

La Normandie, deux fois l'Espace... Faut toujours aller le sauver celui là !

25 ans de tentatives

Depuis le choc que provoqua le film en 98, beaucoup ont essayé de recopier la recette mais en ne pouvant au mieux que rendre hommage à cette leçon de cinéma. 

La série de jeux vidéo Medal of Honor, puis Call of Duty, Company of Heroes et tant d'autres oeuvres vidéoludiques ont régulièrement singé le débarquement ou la bataille de Ramelle mais sans parvenir à vraiment proposer du neuf. 

Au cinéma les essais n'ont évidemment pas manqué mais aucun n'a réussi à faire oublier la lente progression des hommes de Miller ou à nous faire penser "tiens ça rappelle le Soldat Ryan".
Seule peut être la bataille d'Okinawa dans le Hacksaw Ridge (Tu ne tueras point) de Mel Gibson a réussi à nouveau à choquer le public avec son gore inouï, mais sans atteindre le même réalisme des situations et avec tout de même un peu de lyrisme. 

Et le pire c'est que Spielberg et Tom Hanks eux-mêmes avec leur série culte Band of Brothers s'étalant de juin 1944 à août 1945 n'ont pas pu reproduire le braquage, renforçant un peu plus le statut d'oeuvre légendaire et inégalable dont bénéficie Il Faut Sauver le Soldat Ryan, et dont il bénéficiera probablement toujours. 

Après cela Spielberg livrera des films plus ou moins inspirés, parfois détonnants (Munich, Pentagon Papers) mais semblera davantage se reposer sur ses acquis plutôt que chercher à de nouveau révolutionner un genre. 
C'est peut être bien là le seul défaut du film : après lui, son metteur en scène n'a plus jamais été aussi inspiré. 

Note : 5/5

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