Tandis que le monde entier attend avec une légère crainte des images officielles du prochain film de Christopher Nolan (une nouvelle adaptation d'Homère pour rappel), beaucoup ont critiqué la première photo teaser de Matt Damon coiffé d'un casque au style vaguement corinthien avec une superbe crête rouge.
"Mais enfin les grecs n'étaient pas armés comme ça", "à cette époque les armures ressemblaient pas à ça", "pfff on se torche avec l'Histoire"... Les réactions négatives ont été nombreuses de la part des très nombreux historiens diplômés qui se cachent décidément sur les réseaux sociaux derrière des profils d'inconnus.
Pour ma part je suis extrêmement attaché à l'Histoire et l'Antiquité m'a passionné pendant des années, mais il faut savoir faire la différence entre une fiction et un documentaire.
C'est bête mais le casque à crête, cinématographiquement cela donne un repère visuel au public : on identifie tout de suite à quelle armée appartient le personnage. Certes l'équipement n'est peut être pas juste, mais en terme d'imagerie c'est ce que l'on attend d'un péplum il faut être honnête.
A ce moment là pourquoi conspuer Gladiator II pour ses anachronismes alors que le premier aussi culte soit-il en comportait des wagons entiers lui aussi ?
En fait cette émergence d'experts autoproclamés ne date pas d'hier, même si ce sont ces dernières années que le sujet a commencé à systématiquement alimenter les débats à chaque sortie de fiction historique.
Et malheureusement pour lui Christopher Nolan a été l'un de ceux qui se sont frottés les premiers à cette frange du web incapable de faire la différence entre fiction et reproduction fidèle.
En 2017 Nolan nous livre Dunkerque, trois ans après le carton et les larmes de son Interstellar pour lequel il demeure aujourd'hui encore scandaleux que le réalisateur n'ait pas été primé aux Oscars.
Un film de guerre donc se déroulant pendant l'Opération Dynamo en mai 1940. Un choix inattendu comme chaque projet du réalisateur (en dehors de sa trilogie Batman évidemment) et qui à l'époque avait fait se demander à pas mal de monde pourquoi s'être tourné sur un projet aussi classique en apparence que le film de guerre ? Qui plus est sur la Seconde Guerre Mondiale dont le cinéma a produit des camions entiers de films.
C'était sans compter sur l'obsession de Christopher Nolan à propos du temps.
La fuite de Dunkerque
En mai 1940 l'Allemagne a rapidement avancé en Europe et pris au dépourvu les forces alliées avec la Blitzkrieg. Acculées les armées britanniques et françaises se replient sur Dunkerque en entament une opération de secours afin de ne pas perdre 400 000 hommes.
Tandis qu'il se dirigeait avec sa section en direction des plages, un soldat anglais échappe de peu à la mort. Seul survivant d'une fusillade qui n'a laissé aucune chance aux alliés, il se retrouve comme des centaines de milliers d'autres à faire la queue sur une plage en attendant un navire providentiel pour retourner en Angleterre.
Mais l'aviation allemande n'est jamais très loin.
S'il ne s'agit pas du premier long métrage à traiter de l'opération Dynamo (Week-end à Zuydcoote de Henri Verneuil en 1964, au passage l'un des meilleurs films de guerre français qui soient) le film a tout de même le mérite de traiter d'une opération et plus particulièrement d'un aspect de la guerre qui n'est pas bien séduisant aux yeux de tous : la retraite.
Nulle question ici de nous proposer des charges héroïques afin de bouter l'ennemi hors de France et faire flotter le drapeau américain sur les côtes normandes, tout sera question d'attente et d'angoisse face à une mort omniprésente contre laquelle les moyens étaient insuffisants (peu d'aviation, une seule jetée pour évacuer, troupes encerclées...).
Rien qu'à travers le fait que les personnages que nous suivons n'auront la plupart du temps même pas d'arme et dont le rôle se résume à être des cibles de foire pour les pilotes allemandes, l'approche de Nolan aura eu le mérite d'aller à contre-courant des productions habituelles sur le sujet.
Cela donnera par ailleurs quelques moments absolument abominables en Imax : je crois que tous ceux qui ont vu le film dans ces conditions auront frôlé l'infarctus lors du premier coup de feu.
Premier coup de génie : ne jamais montrer les allemands pour mieux suggérer leur omniprésence et le fait que n'importe quel figurant pourrait être dans le viseur d'un tireur hors champ.
La patte du réalisateur
Mais bien entendu en dehors de son angle profondément sombre et désabusé notre cher Chris Nolan a puisé dans ses recettes habituelles pour nous raconter cette histoire à sa façon car aussi tragique soit-elle l'histoire d'hommes faisant la queue en attendant la prochaine bombe/rafale pourrait rapidement manquer de rythme et d'enjeux.
Comme à son habitude le réalisateur nous propose une narration éclatée sur trois temporalités : une semaine, une journée puis une heure.
Et si le procédé n'est pas toujours pertinent dans la filmographie du bonhomme (je ne me remets toujours pas de la lourdeur que fut Oppenheimer à ce niveau là) cette fois-ci il aura pour mérite de bien faire monter la pression et de révéler quelques subtilités sur les personnages.
Car si les fantassins racontent leur histoire sur une semaine, les aviateurs menés par Tom Hardy livrent une mission d'une heure tandis que les marins civils anglais disposent d'une journée pour traverser la manche pour secourir les troupes.
Et bien entendu certains personnages vont en croiser d'autres et plusieurs séquences se dérouleront de différents points de vue avec comme point culminant un suspense digne de la chute de la camionnette d'Inception : un énorme bombardier allemand s'apprête à couler un torpilleur sur lequel nos fantassins sont hébergés et proche duquel se trouvent nos marins tandis que l'avion survivant n'aura peut être pas assez de carburant pour livrer ce combat.
Mais en plus de faire monter la pression avec une efficacité redoutable le montage parvient également à creuser certaines figures, notamment Cillian Murphy dont la première apparition a quelque chose d'effroyable : le gars est seul en pleine mer assis sur les derniers centimètres émergés de ce qui fut auparavant son navire d'évacuation.
Un personnage mutique visiblement traumatisé et qu'on dépeindrait presque comme un lâche lorsque l'équipage qui l'a secouru lui annonce voguer à nouveau vers Dunkerque.
Mais grâce à la narration côté fantassins nous finirons par croiser le personnage avant que son bateau ne soit coulé, et celui-ci sera alors complètement différent : assuré et se voulant pragmatique sur la marche à suivre.
Vous voyez avec quelle subtilité le montage a permis à Nolan de montrer les impacts de la guerre sans montrer une seule image de ce qu'a traversé ce soldat ?
"Les français ont été oubliés !"... Ah ouais ?
Subtil le film de Nolan l'est assurément, peut être même parfois un peu trop et c'est probablement pour ça qu'il s'est attiré les foudres des webstoriens évoqués plus haut, critiquant notamment l'absence totale de présence de l'armée française dans le film.
Et pourtant il suffisait d'ouvrir les yeux et de se creuser un minimum la cervelle. Qui sont les seuls soldats qui vont livrer une scène de bataille (même archi-courte) contre l'infanterie allemande ? Les français du début que le personnage principal va littéralement laisser derrière lui sans se retourner.
Plus tard dans l'une des longues files d'attente un officier anglais repoussera des troupes françaises en expliquant que le navire actuel est anglais et qu'il n'accueillera par conséquent aucun français à son bord.
De plus sans en dire trop quelle est la nationalité du mec que les autres laissent se noyer à fond de cale alors que celui-ci les avait sauvé en leur ouvrant un écoutille la nuit précédente ?
Et ouais encore une fois, un français.
Certes il n'y a pas de longue tirade pour expliquer que les lâches anglais ont fuit pendant que les français tenaient la ligne à l'extérieur de la ville mais on est en présence de l'oeuvre d'un cinéaste qui a compris que montrer était plus intéressant que dire.
Mais un peu facile quand même
Sous-coté et injustement descendu par les gardiens de l'Histoire, Dunkerque l'est assurément.
Mais pour autant est-ce que cela veut dire qu'il est exempt de défauts ?
Bien sûr que non.
Cela me semble paradoxal devant l'ampleur d'une mise en scène qui a employé de vrais navires de guerre et refusé comme d'habitude avec Nolan le recours aux effets spéciaux numériques, mais parfois le film sonne un peu "vite torché".
L'astuce du montage qui alterne entre les temporalités fonctionne bien pour rythmer l'histoire, mais celle-ci manque parfois d'enjeux et on ne va pas se le cacher hormis dans les airs où les duels entre aviateurs seront certainement les meilleurs du genre, sur terre et sur mer il ne se passe pour ainsi dire pas grand-chose.
Certes cela fait partie de la démarche de Nolan de montrer une débâcle mais on se dit qu'il y aurait peut être eu matière à varier un peu les situations.
Enfin même si les effets spéciaux fonctionnent bien la plupart du temps, le refus de Nolan d'avoir recours aux CGI dessert légèrement le projet lors des plans aériens de la ville : comment croire à la reconstitution quand certains balcons arborent des baies vitrées modernes ?
De même que si il est louable d'avoir su retranscrire pareille situation sans montrer une seule goutte de sang, un peu plus de "cradingue" n'aurait pas fait de mal : lorsqu'un plan montre des anglais étendus sur le sol j'ai cru au départ qu'il s'agissait d'une sieste... En fait non les mecs sont sensés être morts mais on dirait que le plan a été tourné pendant une pause et que les acteurs se détendaient entre deux prises... Pour le coup même à l'époque des jetés de bras des années 50 on a vu des morts plus crédibles.
Je l'admets volontiers : Dunkerque ne fait pas partie des meilleurs de la filmographie de Christopher Nolan.
Trop rapide, trop "facile" même comparé à ses projets habituels, il ressemble parfois presque à un film-concept fait pour passer le temps entre deux gros projets (on rappelle que Tenet le film suivant avait proposé des scènes d'action de malade).
Mais même un Nolan mineur reste un objet cinématographique fascinant comporté à minima deux ou trois séquences mémorables et émouvantes : les mots de Churchill sur un avion en flammes, la première fusillade, les quinze dernières minutes, le charisme de Brannagh sur la jetée... Dunkerque n'en manque pas !
Note : 3.5/5