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Ma dose de cinéma

L'Emmerdeur - Le premier François Pignon

Publié le 27 Novembre 2024 par Gaffeur in Comédie, Lino Ventura, Jacques Brel, François Pignon

Le boulet et l'assassin, de La Fontaine

Le boulet et l'assassin, de La Fontaine

Fantômas, Don Salluste, Quentin de Montargis, Serge Benamou, Jacquouille la Fripouille, Francis Reggio, l'Abbé Cafarelli, Figolli alias le Piaf... Depuis toujours le cinéma français a accouché de personnages illustres qui ont fait marrer des générations entières et dont les répliques rythment encore les repas de familles ou les soirées entre amis !

Pourtant si on devait faire un choix et définir quel personnage a récolté le plus de rires en traversant les âges, il y en a un qui mériterait incontestablement le titre de champion du monde. 

La classe mondiale, un mec hors concours !

Evidemment je parle de François Pignon.

Sans déconner, il y a quelques mois alors que je me trouvais dans une auberge de jeunesse à Tokyo l'un des résidents était Hong Kongais et en entendant que j'étais Français celui-ci se rua vers moi pour me dire : "Hey man my favourite comedy film is ... Hum... Lé dineur dèce cons... Furançois Pignon !"

Je pense qu'il n'y aura pas de meilleur argument pour défendre ce personnage créé par Francis Veber pour le théâtre en 1971 que cette anecdote d'un Hong Kongais capable de rire aux éclats devant un personnage qui ne s'exprimer même pas dans sa langue. 

Après vous me direz : y'a triche ! 

C'est vrai que Pierre Richard, Jacques Brel, Danny Boon, Patrick Timsit, Gad Elmale, Daniel Auteuil et le meilleur Jacques Villeret ont tous interprété le personnage au cinéma mais qu'il s'agissait évidemment d'un Pignon différent des autres à chaque fois. 

Mais chaque Pignon étant un habile mélange entre un gentil naïf et un inéluctable casse-couilles, on peut parler sans se tromper d'une marque, d'un personnage de nigaud qui revient régulièrement à l'écran ou sur les planches pour régaler le public. 

Aussi ai-je eu envie de vous parler du tout premier François Pignon de cinéma interprété par nul autre que Jacques Brel et qui en a fait voir quelques unes à Lino Ventura dans L'Emmerdeur

Parfois les films portent mal leur nom, mais je peux vous garantir que ce coup-ci le titre peut difficilement mieux correspondre à ce qui nous attend !

Belle métaphore de la capacité du personnage à s'accrocher

Belle métaphore de la capacité du personnage à s'accrocher

Adaptation théâtrale 

Après une première tentative avortée, une mystérieuse organisation criminelle fait appel à Ralf Milan un assassin professionnel pour abattre un témoin gênant au cours d'un procès très médiatisé. 

Tueur froid et méthodique, Milan récupère son fusil à lunette et s'installe au dernier étage d'un hôtel de Montpellier disposant d'un parfait angle de tir en direction du tribunal. Il n'y a plus qu'à attendre la cible.

Mais dans la chambre voisine un représentant en chemises vient d'essuyer un échec dans sa tentative de reconquête de son ex-femme partie avec un célèbre psychiatre de la région. Désespéré François Pignon fait une tentative de suicide et ne trouve pas mieux que Milan à qui confier sa peine. 

Trente ans avant Le Dîner de Cons, une autre pièce de Francis Veber est ainsi portée à l'écran par le sous-estimé Edouard Molinaro. 

Réalisateur de plusieurs classiques avec de Funès (Oscar, Hibernatus) mais surtout de chef d'oeuvre Mon Oncle Benjamin avec déjà Jacques Brel dans le rôle principal, Molinaro était en effet l'homme de la situation pour transposer une comédie des planches à l'écran : Oscar était en effet déjà une adaptation de pièce, et le savoir faire du bonhomme en matière de comédie n'était déjà plus à prouver à l'époque. 

L'aspect théâtral se fait ressentir pendant une partie du film puisqu'une bonne moitié va se dérouler dans les chambres jumelles de l'hôtel qui nous fait réaliser qu'à la base l'histoire doit se jouer sur scène avec un décor forcément limité. 

Mais Molinaro (qui s'offre un caméo en barman au début) parvient à trouver de bonnes occasions de sortir Milan et Pignon de l'immeuble pour plusieurs escapades catastrophiques à base de quiproquos et de coups de volants brutaux. Ainsi on évite l'impression de n'assister qu'à une pièce filmée façon Le Prénom ou Le Dîner de Cons (attention j'adore ces deux films, mais niveau mise en scène ce n'est tout de même pas folichon). 

Jacques Brèle

Mais passons donc à l'argument de poids qui m'a poussé à découvrir ce film pour la première fois il y a des années : François Pignon !

Comme beaucoup j'ai passé 85 minutes à me tordre de rire en assistant au calvaire de Thierry Lhermitte face au redoutable Jacques Villeret, aussi lorsque mon père m'appris lors de mon adolescence que le premier François Pignon était Jacques Brel et qu'il s'opposait à mon acteur français préféré je me suis évidemment jeté sur le premier DVD de L'Emmerdeur qui passait par là !

Et si Brel n'a pas la même interprétation de Pignon, bien moins candide que celui de Villeret, question maladresses et capacité à vous coller au derche force est de constater que l'acteur/chanteur a su offrir au personnage une entrée en grandes pompes sur grand écran !

Depuis sa tentative de pendaison où son soucis du détail retarde le moment fatidique avec humour tout en nous en apprenant sur le personnage (clairement un méticuleux qui ne lâchera pas tant qu'il n'aura pas eu ce qu'il veut) jusqu'à l'ultime plan d'un Lino Ventura largement essoré, Jacques Brel nous offre une composition mémorable de nigaud qu'on n'aimerait clairement pas avoir comme voisin. 

Vous sentez Ventura au bord de l'explosion ? C'est normal !

Vous sentez Ventura au bord de l'explosion ? C'est normal !

Entre polar et comédie

Malgré les rires que le film ne manquera pas de vous procurer je me dois tout de même de vous avertir : ces rires il va tout de même falloir les mériter un minimum !

C'est peut être même l'un des tour de force du film : l'idée d'être tout autant une comédie qu'un polar sec avec Lino Ventura. 

C'est qu'à l'époque le colosse a déjà derrière lui un sacré paquet de rôles de flics patibulaires et de gangsters as de la gâchette et accros à la mandale et qu'il ne s'est que trop rarement frotté à la comédie (citez moi un rôle comique hors Le Gorille... Tontons Flingueurs, Ne Nous Fâchons Pas et Barbouzes).

L'Emmerdeur ressemble ainsi souvent à l'une de ces séries noires auxquelles Ventura s'est si souvent frotté : une histoire de complot, un homme abattu en pleine rue, un assassin sans foi ni loi, une fusillade avec la police, des poursuites... Lino Ventura arrive en terrain connu et s'il n'y avait pas eu l'affiche on aurait pu se laisser berner et croire qu'il ne s'agissait pas d'une comédie. 

Ce n'est qu'une fois la tentative de pendaison de Pignon atteinte que la "Ventura Story" va se retrouver subitement envahie par le personnage improbable de Pignon avec ses cheveux gras, sa cravate immonde et ses réflexions insupportables. 

Et si on finit par se régaler de voir Ventura ne surtout pas sortir de son rôle de dur à cuire en dépit des efforts considérables de Brel pour le faire craquer, il faut bien dire que ces vingt premières minutes qui ne sont clairement pas comiques peuvent en laisser quelques uns sur le carreau !

Dis donc François, tu crois pas que t'en fais un peu trop là ?

Dis donc François, tu crois pas que t'en fais un peu trop là ?

Il est clair que le François Pignon de Jacques Brel n'aura hélas jamais le même impact que celui de Villeret. Même en mettant de côté les années, Villeret savait allier répliques et mimiques pour nous faire marrer et l'écriture de Veber fut on ne peut plus inspirée sur Le Dîner de Cons

Mais si on se replace dans le contexte de l'époque avec notamment l'image qu'avait Ventura à ce moment là et le plaisir que prennent Molinaro, Veber et Brel à tourmenter le détenteur du record de France de bourre-pif on se dit que L'Emmerdeur était tout de même une excellente entrée en matière pour ce personnage aussi attachant qu'énervant qu'est François Pignon.

Il est méchant Monsieur Milan il est tout con Monsieur Pignon !

Note : 3.5/5

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