Hier, c'était le 11 novembre.
Pour de plus en plus de monde aujourd'hui cette date n'évoque hélas plus grand chose, mais pour la majorité des gens cultivés il s'agit toujours de la signature de l'Armistice qui mit fin à quatre ans de guerre en 1918.
Et parce que l'Histoire est un élément important dont on ferait mieux de ne pas oublier les dates clés telles que celle-ci plutôt que de s'activer à jouer la carte de la cancel culture, je me suis demandé quel film j'allais regarder pour me souvenir à ma façon de cette génération perdue ?
A l'Ouest rien de nouveau ? Un classique que j'ai vu énormément de fois.
Alors Gallipoli ? Hum, plus un film sur l'amitié qu'un film sur le conflit.
J'ai fini par garder deux noms dans ma liste : Un Long Dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet et Au revoir là-haut de Albert Dupontel.
Et si le premier propose des batailles encore inégalées par nos cinéastes ainsi qu'un polar romantique palpitant et original, le second a pour lui de s'intéresser à un sujet bien plus grave qui hélas fait écho à ce que certains pensent probablement aujourd'hui : 10 millions de morts ? Et alors, l'important c'est de devenir riche !
Du coup comment choisir un autre film pour illustrer un conflit atroce que celui qui a su aller à contre-courant en ne donnant pas dans le grand spectacle et en optant pour la comédie historique au vitriol ?
De plus j'y repensais en redécouvrant le film qu'il s'agissait en plus d'un exemple à suivre en matière d'adaptation de roman puisque le scénario suit la trame du livre éponyme de Pierre Lemaître.
Génération perdue
Arrêté en Afrique du Nord par des gendarmes, Albert Maillard est interrogé par l'officier en charge de la prison sur son histoire personnelle.
Quelques années plus tôt alors que la guerre allait prendre fin, lui et ses camarades ont été lancés dans une bataille inutile à l'initiative du lieutenant Pradelle.
Tandis qu'il était proche de la mort, le soldat Edouard Péricourt sauve Albert mais reçoit dans la foulée un éclat d'obus qui le laisse défiguré.
Redevable envers le jeune homme, Albert l'a aidé à disparaître des registres et à mener une vie clandestine où les deux vétérans vont imaginer un plan pour s'enrichir en arnaquant les profiteurs de guerre.
A l'issue d'une vingtaine de minutes dans les tranchées et dans les hôpitaux militaires, Albert Dupontel nous propose une histoire d'arnaque, d'amitié et d'amour qui aura pour toile de fond les premières années suivant la fin de la Première Guerre Mondiale.
Un cadre plutôt inédit au cinéma et qui en a laissé plus d'un sur le séant lorsque le projet a été annoncé : Albert Dupontel ? Le mec qui invente des orphelins bouffeurs de canaris, des avocats bègues et des octogénaires invincibles ? Le gars qui a osé rire avec les SDF va livrer un film historique ?
En vérité même si l'histoire pouvait être bonne, on était effectivement en droit de se demander quelle mouche avait bien pu piquer Dupontel pour qu'il ait envie de se lancer dans une grosse production apparemment à des années lumières de son cinéma.
Et pourtant !
Pourquoi c'est une excellente adaptation
Je ne vais pas me la jouer, j'ai lu le roman de Pierre Lemaître après avoir vu le film trois fois au cinéma et en avoir redemandé.
Et pour le coup si il arrive que certaines adaptations soient très éloignées du roman original Albert Dupontel a fait un très gros travail à l'écriture pour que la trame colle le plus possible à celle du roman tout en s'autorisant quelques modifications dans le cadre de l'adaptation.
Ainsi il sera toujours question d'une arnaque aux monuments aux morts imaginée par les deux compagnons d'armes qui les verra croiser la route de leur ancien chef devenu évidemment un plus gros enfoiré qu'il ne l'était déjà mais contrairement au roman qui pouvait être un peu frustrant Dupontel va penser au cinéma.
Pierre Lemaître avait en effet en tête une trilogie lors de l'écriture de Au revoir là-haut et lorsque le film est arrivé le second roman n'était toujours pas publié.
Du coup comment éviter le piège d'un Game of Thrones qui a rapidement dépassé les bouquins pour avancer à l'aveuglette avec plus ou moins d'inspiration ? Très simplement : inviter l'auteur à participer au scénario.
Conscient de ce qu'il écrira par la suite Lemaître a ainsi pu dire à Dupontel ce qu'il pouvait modifier sans que cela n'impacte trop les futurs romans.
L'arc de Pradelle va ainsi connaître un dénouement qui colle davantage à un film pensé pour être un one-shot sans pour autant trahir l'essence du personnage et son traitement dans le roman.
Même chose pour le climax avec l'oiseau bleu qui s'il sonne très ironique et aussi absurde que la guerre et l'arnaque opérée ne fonctionnerait pas au cinéma en terme d'imagerie là où la fin du film offre l'un des plans les plus émouvants que le cinéma français ait offerts ces dix dernières années.
Pourquoi c'est aussi un (grand) film de Dupontel
Quelle est la principale difficulté dans une adaptation en dehors du respect que l'on doit accorder à l'oeuvre originale ?
Savoir conserver son propre style et apporter une plus value à l'adaptation tout en ne tombant pas dans le gloubi-boulga façon Dune de David Lynch.
Et c'est là que le film devient encore plus génial : en plus d'être une adaptation impériale il est en prime une oeuvre majeure dans la filmographie de son réalisateur.
Habitué des personnages de marginaux et des farces trash qui dynamitent notre société contemporaine et en chargeant en particulier les élites au passage, comment expliquer à quel point Albert Dupontel était fait pour adapter ce roman ?
Albert Maillard est comme tous les autres personnages que Dupontel a interprétés : en plus de ne pas savoir traverser une route sans manquer de se faire renverser (un gimmick qu'on retrouve dans la plupart de ses films), il est surtout quelqu'un dont plus personne ne veut mais qui doit malgré tout trouver le moyen de désamorcer les limites du système pour retrouver sa liberté.
Evidemment qu'on pourrait refaire le film en mode 100% sérieux et en tirer un film larmoyant et dépressif, mais à ce moment là qu'est-ce qui l'aurait différencié de n'importe quel autre drame social made in france avec Vincent Lyndon ?
Une mise en scène exceptionnelle
Avec Dupontel aux commandes on se retrouve non seulement avec une histoire magnifique mais en plus une réalisation pleine d'audace et de fulgurances qui sublimera les personnages du roman.
Qu'il s'agisse du parallèle entre le cratère d'obus et le chantier de Pradelle, des flashbacks en accéléré chers au réalisateur justifiés par la consommation de morphine de Edouard ou encore de la multitude de masques créés par Mimi Lempicka, Au revoir là-haut fait partie de ces films qui ont une vraie patte visuelle qui fera que chaque séquence, chaque image vue à la volée par la suite rappellera au public à quelle oeuvre elles appartiennent.
Et enfin que dire du casting qui là encore illustre parfaitement ce que doit-être une bonne adaptation !
Par exemple d'un côté de la pièce nous avons Niels Arestrup qui fidèle à lui même campe un personnage dur et renfermé fidèle au Marcel Péricourt du roman. Et c'est devant ce monument de gravité que Dupontel s'amuse à placer son grand ami Philippe Ulchan en guise de bouffon du roi.
Ce contraste entre la froideur de Arestrup et ce personnage remanié à la sauce Dupontel donne lieux à plusieurs échanges savoureux causés d'une part par l'excellence des dialogues mais aussi par cette capacité qu'a le cinéaste de savoir quand il peut créer une situation de pure comédie malgré la gravité de l'histoire (notez les apparitions géniales de Michel Vuillermoz dans le dernier acte).
Et bien entendu j'ai gardé le meilleur pour la fin : Nahuel Perez Biscayart.
Le gars n'a que quelques grognements en guise de répliques et l'histoire ne lui offrira qu'une demi-douzaine de plans avant que son visage ne soit fauché par la mitraille.
Et pourtant il danse, il peint et surtout son regard et sa gestuelle suffisent à transmettre énormément d'émotions à tel point qu'à l'instar de la petite Louise le spectateur comprendra à chaque instant dans quel état se trouve Edouard et ce quel que soit le masque choisi.
En vérité le seul défaut d'Au revoir là-haut... C'est d'avoir immédiatement ringardisé les films suivants. Ou plutôt LE film suivant puisque a priori il n'est pas question d'adapter le troisième roman Miroir de nos peines pour le moment.
Sorti en 2022 soit cinq ans après le chef d'oeuvre de Dupontel, Couleurs de l'Incendie réalisé par Clovis Cornillac n'a hélas pas connu le même succès : loin des deux millions de son prédécesseur le film finira sa course aux 750 000 entrées. Et même si cette fois-ci il n'y avait pas de scène de guerre cela reste un gros échec pour un film bénéficiant d'une telle reconstitution des années 20-30.
Le film n'était pourtant pas si mauvais et il était même une bonne adaptation du deuxième volet des Enfants du Désastre avec en prime quelques séquences réussies (l'opéra nazi notamment).
Mais il n'y avait pas ce génie de tous les instants dans la mise en scène, ni cette bande-son à la fois décalée et envoûtante, ni de fulgurance visuelle qui aurait pu transcender une intrigue il est vrai de base bien moins palpitante que ne l'était l'arnaque de Albert et Edouard.
C'est aussi pour ça que la trilogie est plutôt bien pensée : chaque roman peut se lire seul et il ne tient qu'au public de vouloir découvrir les deux autres sans pour autant que cela ne chamboule l'histoire qu'il vient de lire.
Au revoir là-haut le film est ainsi du même calibre : il est à lui seul un pur chef d'oeuvre de cinéma qui peut vous donner envie de voir la suite mais si celui-ci vous suffit vous ne resterez nullement sur votre faim.
Note : 4.5/5