"Mon coeur était un lion, il est dans les chaînes... Et par le monde je vais chantant ma peine"
Ahah si vous avez déjà vu le film nul doute qu'à présent vous avez entendu distinctement le doubleur de Robert Taylor chanter ces paroles tandis que vous vous êtes immédiatement remémoré les premiers plans de l'acteur vêtu d'un look à la Robin des Bois déambulant de château en château en jouant de la mandoline.
Ivanhoé de Richard Thorpe.
Voilà un film de chevaliers comme on n'en fait plus et comme on n'en verra probablement plus jamais d'autres !
Déjà parce que d'une part s'il n'y avait pas Ridley Scott la chevalerie au cinéma serait éteinte depuis le moyen Jeanne d'Arc de Luc Besson, et d'autres part parce que ce genre d'histoires ne collent pas vraiment à la pensée moderne qu'on veut nous faire ingurgiter à chaque nouveau film, série ou même jeu vidéo.
Bah oui, un genre où les hommes sont en armures et se tapent sur la poire virilement tandis que les femmes sont souvent cantonnées au rôle de belle en détresse collectionnant les robes spectaculaires, ça ne se fait plus à moins de désamorcer les codes du genre habilement (coucou Le Dernier Duel).
Et pourtant des films comme Ivanhoé sont clairement les représentants de l'âge d'or du cinéma hollywoodien et si on peut effectivement reprocher aux Chevaliers de la Table Ronde du même Richard Thorpe de ne vraiment pas faire d'effort sur les personnages et thématiques, Ivanhoé est aujourd'hui encore un film incroyablement moderne !
Autour du Roi Richard
Au XIIème siècle le chevalier saxon Wilfrid d'Ivanhoé est de retour de Terre Sainte après que la croisade menée par Richard Coeur de Lion ait tourné au fiasco. Capturé par son rival Léopold d'Autriche, le roi Richard parvient à donner signe de vie à son serviteur qui entreprend de retourner en Angleterre pour réunir la somme demandée par les autrichiens pour la libération du Roi.
Si vous êtes un amoureux de la période de Robin des Bois et du Roi Richard Coeur de Lion, Ivanhoé ne devrait pas manquer de vous ravir pour sa capacité à insérer son histoire au sein de la célèbre légende !
Sire Ivanhoé sera ainsi confronté à des chevaliers normands servant le Prince Jean et sera aidé dans sa mission par une troupe d'archers arpentant les forêts... Et oui bien qu'en VF son nom anglais Locksley ne soit pas traduit le fameux Robin sera de la partie !
Richard Thorpe nous livre ainsi une histoire pleine de poésie et toujours dotée d'un sens de l'épique : le cinéaste s'amuse comme un petit fou avec ses châteaux en carton pâte, ses décors peints et ses costumes en couleurs pour créer une chevalerie "rêve de gosse" qui ne manquera pas de séduire aujourd'hui encore.
Le son et l'image
C'est que le film commence tout de même à avoir de la bouteille avec 72 balais au compteur, nous ramenant ainsi à l'arrivée du technicolor sur nos écrans.
Il est assez amusant de constater qu'aujourd'hui les derniers films et séries se déroulant au moyen-âge sont applaudies pour l'obscurité et la froideur de leurs images là où Thorpe 70 ans plus tôt nous proposait des chevaliers arborant chacun leurs couleurs au point de donner à ses images une colorimétrie évoquant les illustrations médiévales.
Mais Ivanhoé n'a pas marqué les esprits uniquement par ses images mais également par l'habillage sonore assez dingue dont il a bénéficié !
Composées par Miklos Rozsa les musiques du film sont toutes plus entraînantes les unes que les autres à tel point qu'on pourrait presque se remémorer chaque séquence du film uniquement en écoutant la bande-son : les trompettes annonciatrices du début des joutes, le thème des normands et bien entendu toute la suite Torquilstone Battle !
Oui il est vrai que les effets spéciaux ont un peu morflé pendant cette séquence incroyable où les troupes de Locksley assiègent un château normand et qu'on se dit qu'il a du en falloir du balsa pour fabriquer toutes ces fausses flèches.
Mais quand on se laisse prendre au jeu par les violons, les trompettes et le montage assez nerveux pour l'époque qui nous fait passer de Robert Taylor qui fuit les remparts aux cohortes de chevaliers qui tentent de sortir par le pont-levis ou encore aux chambres depuis lesquelles les femmes observent la bataille, on se dit qu'on tient un morceau de bravoure de quinze minutes que le cinéma n'a que trop rarement réussi à reproduire le niveau de lyrisme et d'épique !
Un fond plus audacieux qu'il n'y paraît
Alors oui Ivanhoé est une très belle enveloppe qui à mon sens a très bien résisté au passage des années. Mais est-ce que comme je le disais plus tôt les thématiques ne nous paraissent-elles pas vieillottes aujourd'hui ?
Et bien je ne vais pas noyer le poisson : oui les amourettes sont classiques sur la forme avec des jolies princesses secourues par de preux chevaliers et effectivement le tout semble assez has-been pour quiconque pense encore que les hommes ne sont bons qu'à se battre pour leurs dames et que ces dernières sont de pauvres créatures fragiles.
Mais en y regardant de plus près le film tente tout de même de sortir de ce carcan à travers notamment les personnages campés par Elizabeth Taylor et Georges Sanders. La première joue Rebecca d'York, une jeune juive amoureuse du bel Ivanhoé dont les sentiments sont déjà réservées à dame Rowena. Pourtant la jeune femme ne sera pas du genre à se soumettre aux exigences paternelles et à s'avouer vaincue ce qui la rendre plus attachante que prévu.
Mais ce triangle amoureux d'apparence banale va vite se complexifier avec l'arrivée de Brian de Bois-Guilbert un chevalier normand qui va vite s'éprendre de la jolie brune en dépit de sa religion et de sa médecine que certains considèrent comme de la sorcellerie.
Un double-triangle qui rendra forcément la conclusion des arcs amoureux amères pour beaucoup de personnages mais qui sera en plus l'occasion pour Thorpe d'offrir un antagoniste riche et tout en nuances : contrairement aux autres normands à commencer par son bras droit Bracy (qui au passage a tellement de répliques à se tordre) Bois-Guilbert choisit d'écouter son coeur, de surmonter ses idées sur les juifs et d'aller à l'encontre de la pensée normande.
Si ça ce n'est pas un méchant remarquable je ne sais pas ce que c'est !
Soixante-douze ans plus tard Ivanhoé reste encore et toujours mon film étalon sur la chevalerie.
Oui Excalibur est génial, oui les films de Ridley Scott sont excellents mais Ivanhoé est juste exceptionnel !
La preuve Thorpe en personne n'arrivera pas à reproduire le casse l'année suivante avec Les Chevaliers de la Table Ronde qui en malgré la présence de Robert Taylor et de grands moments n'atteint pas le niveau de son aîné : pas de personnage féminin notable, musiques guimauves et aucun questionnement sur la religion d'où à l'arrivée un film très bon mais pas mémorable.
En même temps comment faire mieux que le tournoi d'Ashby où un chevalier noir comme un corbeau de mauvais présage défiera cinq normands ? Comment faire plus chevaleresque que ce duel final où la hache se frotte à la masse d'armes ?
En y mettant le budget et les effets spéciaux d'aujourd'hui ? Mouais je savais bien qu'il y en aurait un pour affirmer un truc de ce genre.
Mais certes le résultat obtenu est plus sanglant, plus viscéral et probablement plus crédible, mais le réalisme y gagne ce que le lyrisme y perd.
Au fond c'est peut être pour ça que le genre a presque disparu : en se modernisant le film de chevalerie a cessé de faire rêver.
Note : 4.5/5