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Ma dose de cinéma

Ten to Chi to (Heaven and Earth) - Ma quête de quinze ans

Publié le 8 Août 2024 par Gaffeur in Historique, Japon, Samourai

Celui là vous devrez le mériter

Celui là vous devrez le mériter

En tant que gars qui combine les psycho-capacités cinéphile et collectionneur j'avoue qu'il m'est arrivé plusieurs fois de ressentir une profonde satisfaction à l'idée de mettre enfin la main sur le DVD d'un film assez rare. 

Pourtant une sensation de satisfaction comme celle que je peux éprouver aujourd'hui, celle d'avoir trouvé le Saint Graal et d'être soulagé qu'il ne s'agit en prime pas d'un bocal à anchois je crois bien que je ne l'avais que très rarement ressentie !

Bon j'en vois déjà qui se disent "pff quel ringard il sait pas qu'au pire le stream et le téléchargement ça existe yolo je retourne sur netflix regarder La Casa de Papel". Sauf que quand vous jouez au monopoly vous n'aimez pas voir quelqu'un piocher dans la banque et quand vous jouez votre meilleure série de kills sur le dernier CoD bien sûr que vous allez pester contre le connard qui a un wall hack. 

Bah pour moi le cinéma c'est pareil : on ne triche pas !

Mais bref de quel film peut-il donc s'agir ? 

Etant un grand amateur de chanbara ou films de sabre japonais j'avais découvert l'existence de Ten to Chi to (alias Heaven and Earth en occident) il y a bien quinze ans sur une vidéo youtube qui combinait des extraits des chefs d'oeuvre de Kurosawa Ran et Kagemusha avec des plans du film en question. 

A cette époque venant à peine de découvrir le cinéma japonais j'eu une épiphanie : Akira Kurosawa n'était évidemment pas le seul réalisateur japonais à avoir fait des films de samouraïs. 

Malheureusement hormis une version youtube dégueulasse sous titrée par des amateurs français qui a rapidement été supprimée du site, pas moyen de mettre la main sur le film. 

De plus chose encore plus amusante le titre occidental est le même que le titre original de Entre le Ciel et la Terre de Oliver Stone donc si en bon occidental que vous êtes vous pensez trouver le film en tapant le titre plus "DVD" dans le moteur de recherche de votre site de vente en ligne favori et bien vous n'allez rien trouver d'autre que des DVD du film avec Tommy Lee Jones. 

Mais si vous taper le titre original Ten to Chi to et que vous l'écrivez en plus en caractères japonais... Là vous pourrez peut être moyennant un certain prix et trois semaines de patience (import japonais oblige) vous procurer un exemplaire du film en DVD que vous ne pourrez lire que sur un PC avec le logiciel VLC car aucune console ni aucun lecteur DVD classique ne le lira du fait de sa provenance japonaise. 

Mais si vous êtes un amoureux de cinéma, un véritable et que la sensation d'avoir mis la main sur un truc tellement rare que même s'il n'est pas aussi grandiose que ce que vous pouviez croire vous serez un minimum satisfait, alors accrochez vous car croyez moi Ten to Chi to est un grand film de samouraïs, et bon sang je ne comprendrai jamais pourquoi ce genre de films n'est pas distribué chez nous.

Nagao Kagetora, alias Uesugi Kenshin car les samouraïs changeaient souvent de nom

Nagao Kagetora, alias Uesugi Kenshin car les samouraïs changeaient souvent de nom

Une fresque historique

Au 16ème siècle le Japon est déchiré entre plusieurs daimyos qui se rêvent tous maître de l'archipel et dont la conquête de la capitale serait l'aboutissement de leur combat. 

Parmi eux se trouvent Nagao Kagetora un jeune seigneur qui a déjà unifiée la région d'Echigo ainsi que Takeda Shingen dont les ambitions vont le mener à attaquer son voisin. 

Pendant des années les deux samouraïs vont se tester, créer puis rompre des alliances afin d'analyser les réactions de l'adversaire jusqu'à ce qu'un jour ils puissent croiser le fer lors de la bataille de Kawanakajima.

Contrairement aux films de Kurosawa (Kagemusha excepté) qui la plupart du temps se réappropriaient les codes de la tragédie Shakespearienne ou du Western, le film de Haruki Kadokawa ne sera pas cent pour cent fictionnel. 

Ten to Chi to met ainsi en scène la rivalité entre deux des plus grands seigneurs de guerre de la période Sengoku Jidai et autant le dire tout de suite n'espérez pas du film autre chose que ça. 

Certes il y aura bien quelques moments hors armure pour développer un minimum le personnage de Kagetora mais clairement Kadokawa va passer 85% du film à dépeindre les différentes étapes du conflit entre les deux clans. 

Et pour le coup si vous vouliez des batailles vous allez être servis ! 

Un déploiement de forces incroyable

Je vais dire un truc qui va probablement donner envie à nombre d'entre vous de me crucifier mais malgré mon adoration pour le cinéma de Kurosawa j'ai toujours été assez frustré devant les quantités de figurants en armure présents de ne pas trouver tellement de batailles dans la filmographie du bonhomme. 

Ten to Chi to va ainsi être l'opposé de Kurosawa sur le plan de la narration mais également sur le plan du spectacle et de l'épique ! 

Parce que comme le maître cinq ans plus tôt avec son Ran, Kadokawa va embaucher des milliers de figurants et faire construire des milliers d'armures de samouraïs dans le but d'obtenir une reconstitution suffisamment ambitieuse pour être digne de l'histoire de son pays. 

Probablement impressionné par l'emploi des couleurs chez son compatriote, Kadokawa consacre une couleur prédominante à chacun des clans du film : noir pour Kagetora, orange pour Takeda, vert pour Usami etc. 

Mais s'il s'inspire clairement de Kurosawa pour l'usage des couleurs et la qualité des costumes, Kadokawa va filmer les scènes d'action à sa façon afin de rendre le moindre affrontement spectaculaire au possible et en ne manquant aucune occasion de livrer un plan aérien dévoilant le nombre de figurants hallucinant pour une production de 1990 !

Ainsi chaque escarmouche nous fera prendre conscience de la puissance des armées belligérantes jusqu'à la magnifique bataille finale longue de près d'un quart d'heure où les milliers de figurants vont s'affronter avec précision : rarement un film historique a su nous placer aussi efficacement dans la peau des stratèges en filmant les généraux donner leurs ordres avant de montrer les mouvements de régiments en plaçant la caméra de façon à ce qu'on ne perde pas une miette du spectacle. 

Et en face Takeda Shingen que vous connaissez si vous avez vu Kagemusha

Et en face Takeda Shingen que vous connaissez si vous avez vu Kagemusha

La poésie du carnage

Mais résumer Ten to Chi to à ses quatre ou cinq grosses scènes d'action serait criminel, aussi réussies soient-elles ! 

Si j'affectionne à ce point les films historiques japonais c'est parce que les cinéastes nippons ont cette capacité que n'ont pas forcément les occidentaux à caractériser leurs personnages via des procédés simples et à nous attacher ainsi à leur sort. 

Du côté de Kagetora il y aura évidemment cette fausse romance avec la fille du vassal Usami dont les notes de flûtes contrasteront avec les ambitions du daimyo. 

Takeda quand à lui bien qu'étant dépeint comme l'antagoniste (chose qui m'a un peu déboussolé puisque j'ai découvert cette figure historique dans Kagemusha qui était consacré à la légende entourant sa mort) sera entouré de nombreux chefs de guerre qui seront en réalité ses points faibles. 

Entre le fils beaucoup trop fougueux ou Dame Yae et son escouade de femmes samouraïs, les forces de Takeda apportent un vrai plus à cette tragédie dans le sens où l'issue des combats dépendront au final moins des forces de Kagetora que de la capacité de ce dernier à exploiter les failles des généreux de Takeda. 

Les balles, les flèches et les coups de katana pleuvent tandis que les fleurs de sakura et les notes de flûtes habillent la chute d'une guerrière dans la rivière... Et bon sang que c'est beau !

Quelques ratés 

Hélas vous vous doutez bien qu'il y aurait un "mais" et effectivement le film n'échappera pas à la règle car bien que ses qualités soient aussi nombreuses que grandes il y aura quelques maladresses assez incompréhensibles.

Tourné au canada (tout comme le récent remake de la série Shogun, comme quoi les idiots qui critiquaient le manque de décors japonais étaient un peu en retard) Ten to Chi to souffre peut être d'une certaine occidentalisation du spectacle. 

En effet l'exemplaire du film que j'ai trouvé via une boutique en ligne japonaise comportait un encart introductif en anglais, des sous titres anglais (pour le coup je remercie les kamis) mais également une demi-douzaines de passages narrés... En anglais ! 

Du coup je me demande (pardon mais j'ai passé 15 ans juste pour trouver le DVD alors rechercher des infos sur la production, j'ai pas le courage) si cette énorme production n'a pas voulu pour rentabiliser au maximum son budget monstrueux se montrer plus accessible aux occidentaux ? Parce qu'au risque de passer pour un barbare, inutile de dire que si vous êtes un amoureux du genre un point va vous surprendre : il n'y a pas une goutte de sang ni le moindre démembrement dans le film. 

Or le film sort en 90 soit quinze à vint ans après les Zatoichi et les Baby Cart où Kenji Misumi avait déjà fait rouler plus de têtes que le cavalier de Tim burton ! Et pour revenir une ultime fois au maître Kurosawa lui même ne lésinait pas sur la présence d'hémoglobine même dans ses films les plus anciens (Yojimbo est d'ailleurs célèbre pour être l'un des premiers films à avoir montré un bras tranché).

Mais dans Ten to Chi to, Kadokawa met visiblement un point d'honneur à édulcorer au maximum le spectacle en dépit des centaines de victimes qu'on y trouvera. En soi je ne serai pas gêné pendant les affrontements de masses qui sont déjà très réussis de base. 

Mais pour le genre de séquence où un personnage est exécuté ou achevé en gros plans, voir sur le plan suivant que la lame du poignard est propre et que la tête de la victime n'a pas quitté ses épaules c'est le genre de petits détails qui font un peu sortir du film.

Ca et les musiques cheapos quasi-omniprésentes pendant la bataille finale. Parce que la encore merci à la cavalerie féminine dont le thème musical est magnifique d'avoir participé à l'affrontement, au moins on aura eu une vraie bonne musique pendant le climax ! 

Les quelques temps morts du film s'apprécient très bien

Les quelques temps morts du film s'apprécient très bien

Quinze ans d'attente.

A l'arrivée même si le film est imparfait et qu'il manque de finitions, bon sang quel soulagement de se dire qu'on n'a pas attendu aussi longtemps pour du beurre ! 

Même s'il n'atteint pas l'intensité dramatique d'un Kurosawa ni la fureur et le tranchant d'un Misumi, le film de Kadokawa a suffisamment de poésie et d'ambition pour se hisser sans soucis parmi les plus grands chanbaras jamais réalisés. 

Parce qu'il y a cette ambition de chaque plan renforcée par une reconstitution de grande qualité, parce qu'il y a ces quelques mélodies qui apportent une touche de lyrisme typiquement japonaise, parce qu'il y a ces batailles dingues pour leur époque... 

Pour tout ça Ten to Chi To est un film que chaque amoureux de cinéma japonais se doit de découvrir. 

Notez qu'il existe une suite : Reimei-hen qui avait pour argument principal de comporter l'illustre Toshiro Mifune à son casting. Mais pour le coup je ne passerai pas quinze ans à la trouver car sa réputation est nettement moins bonne. 

Note : 3.5/5

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