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Ma dose de cinéma

Kubi - The Rolling Heads

Publié le 13 Août 2024 par Gaffeur in Historique, Action, Takeshi Kitano, Samourai, Japon

La crème des acteurs japonais, ils ne manquent plus que Sanada et Watanabe

La crème des acteurs japonais, ils ne manquent plus que Sanada et Watanabe

Si l'histoire japonaise vous passionne, nul doute que vous avez probablement déjà entendu parler d'hommes tels que Tokugawa Ieyasu, Toyotomi Hideyoshi ou encore Oda Nobunaga qui est probablement l'un des samouraïs les plus célèbres de son temps. 

Ayant dévoré des classiques tels que Kagemusha ou Ten to Chi to, vous vous dites probablement que vous avez déjà tout vu et tout entendu sur cette période dite sengoku-jidai où plusieurs grands daimyos se sont écharpés pour le contrôle total du Japon. 

Pourtant avec Kubi je suis prêt à parier gros que vous n'avez jamais vu un film de samouraïs où la figure du guerrier japonais est traitée de la sorte ! 

Présenté pour la première fois au festival de Cannes 2023, celui qu'on vendait un temps comme l'ultime du géant Takeshi Kitano (celui-ci a sous-entendu qu'il en ferait un autre meilleur) s'ajoute à la liste de ces énormes projets que les cinéastes traînent pendant des décennies sans pouvoir les concrétiser. 

Pour tout dire la première fois que Kitano a émis l'idée de réaliser le film, le légendaire Akira Kurosawa était encore de ce monde et il aurait confié que "lorsque (Kitano) aura réalisé son Kubi, ce sera un film aussi important que Les Sept Samouraïs". 

Et ce sont là les paroles d'un homme qui à la suite d'un échec critique sur l'un de ses films tenta de se suicider en se tailladant la gorge, bref pas le genre de mec qui prend le cinéma à la légère. 

Du cou (oui en passant Kubi veut dire "cou" en japonais, ça si on le sait pas on comprend que dalle à celle là) Beato Takeshi qui s'attaque au chanbara, ça donne quoi ? 

Quand on voit ce qu'il fait avec les yakuzas, j'ai envie de dire : d'après vous ? 

Difficile de trouver une image du film sans tête coupée

Difficile de trouver une image du film sans tête coupée

Un échiquier complexe

Au 16ème siècle le seigneur Oda Nobunaga écrase la rébellion de Murashige, un ancien vassal dont les frasques du seigneur ont poussé à faire dissidence. 
Son armée et son clan écrasés par les troupes du daimyo, Murashige prend la fuite et va trouver du secours auprès d'un ancien amant. 
Pendant ce temps Nobunaga ne retient plus sa colère envers ses sujets et leur confie que celui qui se montrera le plus efficace dans la recherche du fugitif deviendra son héritier. 

Un jeu d'alliances et de trahisons se met ainsi en place, chacun voulant tirer son épingle du jeu quitte à devoir trancher la tête d'un ami au passage. 

Si les volets de la trilogie Outrage vous ont parfois un peu perdu en raison du nombre de personnages intervenant dans le carnage, je préfère vous avertir qu'il va falloir vous accrocher avec ce nouveau cru de chez Kitano !

Fresque historique oblige de beaucoup de noms vont être cités pour la plupart au cours des trente premières minutes, mais il ne sera pas rare de voir de nouveaux arrivants débouler malgré le dernier acte enclenché. 

Et si la présence au casting de comédiens célèbres (pour les amoureux de Shogun Tadanobu Asano l'interprète de Yabushige Sama est présent dans un nouveau rôle de filou) permet d'identifier une partie des protagonistes facilement, Kitano n'a hélas pas assez de deux heures pour suffisamment expliquer les liens et les motivations de chaque seigneur ce qui rend un second visionnage plus que nécessaire pour comprendre les subtilités de chaque alliance puis de chaque trahison.

L'Histoire selon un trublion

Aaaah les samouraïs et leurs armures trop stylés, leur code d'honneur et les combats épiques dans le soleil levant... Bah vous pouvez vous en faire un cornet à frites car avec Kitano aux commandes bien sûr que les guerriers iconiques du Japon vont en prendre pour leur grade !

Le plus légendaire d'entre eux, Oda Nobunaga sera d'ailleurs celui dont l'image sera la plus égratignée car bien que le gaillard avait selon les sources un tempérament de conquérant légèrement accro aux batailles on ne s'attendait clairement pas à découvrir une telle approche du personnage.

Campé par un Ryo Kase nerveux (qui vous a certainement fait verser une larme dans Lettres d'Iwo Jima) le seigneur devient un genre de parrain façon Tony Montana qui se complait dans la violence, dans l'humiliation de ses vassaux et dans la luxure auprès de ses valets. 

Et oui quand Kitano décide à la surprise générale d'être woke il ne va pas y aller dans le sens du poil : entre les triangles amoureux entre samouraïs, les ébats explicites et le traitement de Yasuke autant vous dire que le comique le plus fou du Japon n'y est pas allé avec le dos de la cuillère et qu'il n'est pas là pour faire dans le racolage grossier auprès des minorités (qui a dit Ubisoft ?).

Pour sa part il se réserve le rôle de Hideyoshi, un seigneur issu de la paysannerie dont les origines toujours présentes dans son âme donneront lieu à quelques bouffonneries bien acides et très drôles si on connaît un peu l'univers des samouraïs. 

Non parce que quand on sort des quatre ou cinq seppuku tragiques de la série Shogun et qu'on passe à celui qui conclut le film on se demande comment Kitano a pu réussir à trouver un angle comique pour une action aussi violente !

Remarquez ce n'est pas comme ci c'était l'essence de 85% des films qu'il a réalisés depuis trente ans. 

 

On n'attendait clairement pas un Nobunaga de ce style

On n'attendait clairement pas un Nobunaga de ce style

Spectaculaire et généreux

Par contre s'il est un domaine où je ne l'attendais pas, c'est celui du grand spectacle ! En même temps pour un projet mûri pendant plusieurs décennies j'aurai tout de même du m'en douter un petit peu...

Jusqu'ici la plus grosse scène d'action de la filmographie de Kitano fut la tuerie finale de son excellent Zatoichi qui mettait en scène le fameux sabreur aveugle contre une quinzaine de yakuzas dans un jardin traditionnel. 

Une sublime reconstitution mais qui n'était pas non plus une scène d'une ampleur extrême : une bicoque, un jardin et quelques figurants avec du sang numérique donc pas forcément une séquence ultra-coûteuse à mettre en place. 

Mais avec Kubi on parle d'un budget d'un milliard et demi de yen qui seront employés à mettre en scène des dizaines de figurants en armure au cours de très nombreuses batailles et embuscades !

On passe certes beaucoup de temps du côté des généraux, mais les petites fourmis qui gagnent les batailles ne sont pas en reste et Kitano a mis le paquet pour régaler son public d'affrontements qui ne sont pas sans évoquer Kurosawa dans leurs couleurs.

Avec peut être même un très gros clin d'oeil en forme de pastiche au chef d'oeuvre du maître Kagemusha lorsque l'un des daimyos sera mené à changer plusieurs fois de doublure au cours des affrontements, à tel point que cela deviendrait presque un running gag puisque chaque fois que quelqu'un pense avoir enfin réussi à tuer Tokugawa Ieyasu il s'agira en fait d'un double. 

Oui, même en plein milieu d'une escarmouche où les bras et les têtes sont fauchés comme pour rire Kitano se débrouille tout de même pour apporter une grosse dose d'humour noir aux situations : une bannière disproportionnée collée dans le dos du personnage de l'abruti de service, des petits crabes qui sortent du cou tranché d'un samouraï, des pièges à cons... Kitano s'éclate à faire mourir ses personnages dans des effusions de sang sans limite, et forcément nous aussi !

Couic ! Et une de plus !

Couic ! Et une de plus !

"Je ferai mieux la prochaine fois."

Honnêtement on se demande vraiment comment Kitano pourrait tenir parole à l'issue de cette pépite de comédie historique qu'est Kubi.

Certes on ne va pas se le cacher il n'est pas simple pour le public occidental de suivre tous les noms qui fusent à l'écran, et clairement l'humour de Kitano n'est pas fait pour tout le monde. 

Après tout on parle quand même d'un film qui doit contenir quelque chose comme trente décapitations (oui oui, c'est plus que dans Shogun, Sleepy Hollow et les six Baby Cart réunis) et où chaque bataille même modeste sera l'occasion pour le peintre qu'est Kitano de barioler son image à grands renfort d'hémoglobine. 

Mais formellement le film est magnifique avec des costumes, une ampleur et un sens du spectacle sans précédent chez le réalisateur et qui évoquent les plus grands chanbara. 

On l'aura attendue pendant très longtemps, mais cette relecture façon Outrage de l'incident de Honno-Ji est tout ce dont un fan du réalisateur-humoriste pouvait rêver. 

Pour le coup j'aimerai beaucoup pouvoir en discuter avec des japonais afin de voir comment ce public aura accueilli un film qui dynamite à ce point l'un des temps forts de son histoire.

Note : 4/5

 

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