Je me rappelle encore la déconfiture totale que fut la première bande-annonce de Inglourious Basterds, le septième film orchestré par notre Quentin Tarantino préféré !
C'était en 2009 et déjà grand admirateur du gaillard je n'attendais qu'une chose : découvrir les premières images de la Seconde Guerre Mondiale à la sauce Tarantino. Aussi découvrir une poignée de figurants sans charisme et des costumes qui semblaient bien cheapos m'avait bien refroidi et je craignais que la gestation longue du projet et les changements de casting n'aient fini par avoir raison de sa qualité.
Il faut dire qu'à la base les bruits de couloirs annonçaient un projet inspiré des films de commandos des année 60-70 façon Les Canons de Navarone et qu'on attendait au casting Sylvester Stallone, Schwarzenegger, Bruce Willis, Michael Madsen ou encore Tim Roth.
Imaginez un peu ! A cette époque le retour de ceux qui deviendront les Expendables n'avait pas encore eu lieu, alors un projet qui aurait rassemblé les grandes stars des actioners bourrins des années 80-90 ainsi qu'une partie des acteurs fétiches de Tarantino, quel pied cela aurait été !
Bref la bande annonce sort et on découvre Brad Pitt certes mais un groupe de bâtards composé de parfaits inconnus, si on exceptait Eli Roth alors signataire des deux Hostel... Peut être pas un complet inconnu mais pas de quoi faire oublier les grands noms qui avaient fusés pendant la pré-production.
Mais lorsque le film fut présenté à Cannes et qu'hormis les deux trois critiques éternellement blasées du cinéma l'accueil fut euphorique avec une très longue standing ovation ... Et le plus gros spoiler jamais prononcé en direct à la télévision puisque Ali Baddou au cours d'une interview de Tarantino révéla la fin du film, provoquant un concert de sifflets dans le public ainsi qu'une triste moue de la part du réalisateur qui était rarement apparu aussi gêné.
Et pourtant c'est ce spoiler qui m'a convaincu de donner sa chance au film, car même si Baddou avait éventé la surprise ultime du scénario il avait au moins annoncé la couleur du film : il ne ressemblerait à aucune autre oeuvre ayant abordé le sujet délicat de la Seconde Guerre Mondiale.
Il était une fois, dans une France occupée par les Nazis
En 1941 Hans Landa un officier SS rencontre un fermier français afin d'éclaircir la situation sur les familles juives locales. A la suite de l'échange celui que l'on surnomme Le Chasseur de Juifs débusque la famille Dreyfuss mais laisse s'échapper la jeune Shosanna.
Plusieurs années plus tard la vapeur s'est inversée pour l'armée nazie : menée par le lieutenant Aldo Rayne, une troupe d'américains juifs sème la terreur en France occupée en éliminant et scalpant le moindre soldat allemand se trouvant sur sa route.
Difficile de résumer efficacement Inglourious Basterds car l'une de ses grandes surprises aura été sa construction façon film à sketches, un procédé que Tarantino affectionne tout particulièrement puisqu'ayant réalisé un segment du film Four Rooms, et je ne parle pas non plus de Pulp Fiction qui avait le même genre de montage.
Tarantino s'est ainsi au fil de l'écriture du scénario complètement éloigné du film de commandos pour nous proposer à la place cinq histoires d'une durée de 20 à 40 minutes chacune autour de la France occupée, et on se dit que le titre original du projet "Once Upon a time in nazi occupied France" aurait été bien plus pertinent parce que celui qui lance le film en se fiant à l'affiche et au titre risque d'en ressortir pour le moins surpris.
La guerre autour d'une table
L'équipe des bâtards qui donne son nom au film n'est ainsi comme le laissait supposer le trailer original qu'un groupe de figurants sans âme si on excepte deux ou trois membres tels que Hugo Stiglitz ou Wilhelm Wicki.
Résultat la tuerie de nazis vendue par la promotion et les affiches teaser montrant Brad Pitt MP40 en main sur une montagne de macchabées boches n'aura jamais vraiment lieu, les basterds de Tarantino ne s'occupant en tout et pour tout que d'une quinzaine de fantassins au cours des 40 minutes de métrages qui leur sont consacrées.
Décevant ? Pas forcément dans le sens où chaque ennemi abattu par la troupe sera mémorable, qui a oublié Werner Rachtman et sa relecture du baseball avec l'Ours Juif ? Qui a oublié Butz ? Et je parie également que si je vous dis "Utivich, scalpe" vos lèvres s'articuleront en un sourire narquois en repensant au sort de l'opérateur radio à la fin du film.
Mais si l'absence quasi totale d'action peut parfois se révéler frustrante (encore plus si vous avez lu le script qui prévoyait une longue fusillade où Donowitz, Stiglitz et Wicki défouraillent un convoi entier à la MG42) le film va malgré tout marquer le public avec son approche déconcertante du conflit.
Une approche qui pourrait d'ailleurs presque être adaptable sur les planches tant la grande majorité des séquences se composeront de joutes verbales autour d'une table qui prennent presque des allures de duels.
Des duels au cours desquels les combattants useront de différentes stratégies pour prendre l'avantage et pourquoi pas tenter de ressortir vivant de la conversation : changer de langue pour parler plus librement, désamorcer une crise en parlant cinéma... L'écriture de Tarantino ne manque pas d'idées pour rythmer les conversations aussi efficacement que s'il avait orchestré de grandes scènes de guerre pétaradantes.
A la manière d'un Chevalier ou d'un Mort ou Vif, Inglourious Basterds confronte ses personnages les uns aux autres dans des confrontations psychologiques au suspense intenable jusqu'à les rassembler tous (du moins ceux qui auront survécu car étant donné le contexte certains ne quitteront jamais les tables en question) autour d'un grand final jouissif sur lequel Tarantino livrera la plus grande déclaration d'amour au cinéma qui soit.
Le pouvoir du cinéma
En effet le film n'est pas le film de commandos annoncé au départ. Mais il n'est finalement pas non plus le film de guerre auquel on semblait assister car quel est le point commun à presque toutes les conversations majeures du film ?
Bon à chaque fois qu'il y a Landa ou Hellstrom (méchant très sous-coté et pourtant plus dangereux que Landa) il y sera question de dégrader juifs et noirs au nom du reich, mais si les premiers chapitres aborderont des thématiques liées au conflit très rapidement les personnages vont tous parler de cinéma !
Qu'il s'agisse de Archie Hicox face à Churchill ou de Shosanna face à Zoller beaucoup de personnages seront de fins cinéphiles qui connaîtront sur le bout des doigts le paysage cinématographiques de l'époque et qui seront l'occasion pour Tarantino d'étaler ses connaissances en la matière en lâchant des noms tels que Riefenstahl ou Pabst.
Mais toute cette cinéphilie ne sera pas juste une opportunité pour le réalisateur de tenter le spectateur de taper les noms sur google pour en apprendre plus sur ces cinéastes de l'époque, elle sera là pour appuyer le vrai propos du film, à savoir que le cinéma est la meilleure arme qui soit !
Qu'il s'agisse du film de propagande de Goebbels inspiré de Sergent York, de la tuerie finale qui change le cours de l'Histoire ou du personnage de Mélanie Laurent qui attend le signal pour actionner un levier et changer de bobine de la même façon qu'un sous-marinier attendrait le signal pour envoyer une torpille sur l'ennemi, Tarantino livre le meilleur climax de sa carrière.
Un climax qui d'une certaine manière brise le quatrième mur puisque pendant que le public allemand se régale devant les images orchestrées par Goebbels le spectateur sera baladé par Tarantino qui explorera les dessous du cinéma en s'attardant sur les coulisses et les salles de projection : pendant que vous vous éclatez devant l'écran, n'oubliez pas que quelqu'un tire le ficelles et qu'il exerce sur vous un contrôle total.
Un manque de finitions flagrant
Comme je le disais en début d'article Inglourious Basterds a parcouru pas mal d'embûches avant de débarquer en salles.
Tarantino a travaillé longtemps sur le script, l'a réécrit plusieurs fois et il faut également savoir qu'entre la version diffusée à Cannes et celle que nous connaissons aujourd'hui des séquences entières ont été ajoutées ou supprimées !
Et malheureusement cela se ressent dans le manque de finitions scandaleux pour un film pourtant aussi maîtrisé dans sa mise en scène.
Le film comporte cinq chapitres évoquant les Kill Bill, mais contrairement à ce dernier qui offrait des panneaux annonçant chaque segment Inglourious Basterds ne s'emmerde pas et se contente d'un pauvre sous titre arial sans le moindre encart... Alors que c'était le cas lors du festival de Cannes ?!
Même chose concernant le personnage de Maggie Cheung, la vraie Madame Mimieux qui a caché Shosanna et lui a permis de reprendre le cinéma où se déroulent plusieurs chapitres : le personnage a été coupé par Tarantino quelques jours seulement avant la diffusion Cannoise.
Et alors que la version cinéma été présentée comme rallongée de quelques minutes, Cheung ne fut toujours pas ajoutée au film tandis que la séquence où les bâtards en compagnie de Hicox observent la taverne avant de rejoindre Von Hammersmark fut incorporée au montage.
Résultat aussi impactant que soit le film on sent qu'il manque malgré tout des tas d'informations sur les personnages. Sachant qu'une rumeur annonçait que le film serait en deux parties, on peut se dire qu'un tel procédé aurait été pertinent étant donné l'univers construit par Tarantino.
Même après quinze années je rêve encore d'un autre film dans le même univers afin d'en apprendre plus sur les actions des bâtards, sur Aldo l'Apache (ou a-t-il eu cette balafre à la gorge ?) ou sur la manière dont Shosanna est passée de fuyarde tâchée de sang à propriétaire d'un cinéma parisien en zone occupée.
Inglourious Basterds est à ce titre l'une des oeuvres les plus riches du cinéma de Tarantino, ce qui est à la fois une force et une faiblesse : avoir su créer une mythologie unique au sein d'un conflit surexploité au cinéma qui donne tellement envie d'en voir plus que malgré 2h30 d'images on en ressort avec une légère pointe de frustration.
A présent que Tarantino a annulé The Movie's Critic qui devait être son dixième film parce qu'il ne le pensait pas assez bon pour mettre un terme à sa carrière en beauté, j'avoue qu'il y a une part de moi qui espère qu'il optera soit pour un Kill Bill III qui revient régulièrement dans ses déclarations depuis quinze ans, mais la grosse majorité de mes envies glissent vers un le spin off consacré aux GI noirs façon Un Taxi pour Tobrouk que Tarantino avait en tête après la sortie d'Inglourious.
Allez Monsieur Tarantino, faites moi ce plaisir ! Allez quoi en plus on a le même prénom !
Note : 4/5