Après le demi succès des Trois Mousquetaires version Martin Bourboulon, Pathé continue son exploitation de l'oeuvre d'Alexandre Dumas avec une nouvelle adaptation du Comte de Monte-Cristo signée Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patelière qui avaient pour mémoire signé le scénario des Mousquetaires.
Pour le coup comme beaucoup de monde j'attendais ce nouveau film avec une certaine appréhension, pas forcément parce que Les Trois Mousquetaires m'auraient déçu (j'ai adoré le premier volet, moins le second) mais parce qu'entre l'annonce du début du tournage et la sortie de D'Artagnan il y a eu pas loin d'un an et demi d'attente alors qu'à l'inverse Le Comte de Monte-Cristo a commencé son tournage en juillet 2023 pour une sortie prévue en décembre 2024 qui finalement a été avancée de six mois.
Pour un projet qui était vendu comme un nouveau blockbuster à la française je craignais que ce tournage rapide suivi d'une post-production toute aussi éclair ne signifie un film rushé et un peu cheap.
Mais les premiers retours dithyrambiques ont quand même été pour le moins encourageants, surtout de la part d'un public extrêmement critique lorsque les cinéastes français tentent d'offrir un vrai grand spectacle.
Autant dire que pour une fois qu'on n'entendait pas de partout "gnégné ça veut faire comme les américains mais ça sait pas faiiiire" j'avais vraiment hâte de voir ça !
Surtout que mea maxima culpa... Hormis en ce qui concerne la partie se déroulant au Château d'If que j'avais étudiée en 3ème je n'avais jamais lu ou vu l'histoire du Comte. Je sais j'ai honte mais bon le jour où on préférera faire lire aux collégiens Dumas en oeuvre complète plutôt que cette foutue Madame Bovary aussi...
Old Boy avant l'heure
En 1815 Edmond Dantès un jeune marin de 22 ans se voit confier le poste de capitaine après avoir sauvé la vie d'une jeune femme lors de sa dernière mission. De retour dans sa famille Edmond annonce la bonne nouvelle et entend bien épouser Mercedes son amour de toujours.
Le jour du mariage les gendarmes font irruption et emmènent Edmond devant le procureur. On accuse le jeune homme de bonapartisme pour avoir secouru une traîtresse. Tentant de se défendre en avançant qu'il ne connaissait nullement la jeune femme, Edmond se pense tiré d'affaire mais contre toute attente il sera enfermé au Château d'If.
Un enfermement qui durera presque quinze ans au cours desquels grâce à son compagnon d'infortune Dantès s'imaginera une nouvelle identité ainsi qu'un plan de vengeance sur le long terme.
Sincèrement entre le côté enfermé à tort, le tunnel creusé pendant quinze ans puis un retour à la vie réel brutal où la famille n'est plus ce que le héros imaginait, je dois dire que j'ai immédiatement pensé que Alexandre Dumas avait écrit le scénario de Old Boy 150 ans avant que le film ne sorte !
Un scénario pourtant extrêmement complexe mais jamais flou que Delaporte et De la Patelière ont su condenser sur 2h45 (!) sans jamais se montrer redondants ni ennuyer le spectateur.
Et là où j'ai été agréablement surpris c'est qu'en dépit des nombreuses images présentant un Pierre Niney vengeur flingue ou épée à la main le film n'est pas la relecture steampunk/moderne bourrine que je redoutais : n'espérez pas plus de quelques minutes de combat sur les trois heures, les réalisateurs se concentrant davantage sur leur histoire et sur leur mise en scène.
Un visuel léché
Qui aurait cru cela de la part des réalisateurs du Prénom ?
Oui je sais s'avais déjà écrit la même phrase à destination de Bourboulon il y a quelques mois mais d'un autre côté la capacité qu'ont nos réalisateurs de comédies populaires sans ambitions visuelles à passer au film historique épique est tellement surprenante !
Parce que si le film va être très chiche en action cela ne signifie pas qu'il ne sera pas riche en spectacle, car l'histoire de Dantès va le conduire dans les geôles humides du Château d'If, puis sur les quais de Marseille, à Paris dans différents manoirs et châteaux, sur l'île de Monte-Cristo... Tout autant de décors que les réalisateurs vont sublimer à travers la mise en scène !
Certains plans sont à couper le souffle notamment lorsque la mer s'invite sur l'image et on sent le budget employé à chaque instant, qu'il s'agisse d'une statue et de son passage secret ou des décors en réel fantastiques composés en grande partie de châteaux magnifiques.
Delaporte et De la Patelière se font visiblement très plaisir à filmer notre patrimoine avec en plus le bon goût de faire ça en plans fixes ou avec des travelings clairs. Non parce que autant j'admire l'ambition de Bourboulon qui voulait réaliser chaque combat en plan-séquence sur les Mousquetaires mais dans les faits c'était parfois bien brouillon au point de gâcher le décor.
La vengeance avec classe
En fait ce qui m'a le plus surpris dans cette histoire que je ne connaissais pour ainsi dire presque pas c'est que la vengeance du personnage principal sera toute en subtilité et en patience et le tout sans effusion de sang !
Malgré sa silhouette patibulaire enveloppée dans un manteau de cuir sombre Pierre Niney n'est pas assoiffé de sang et n'est pas là pour distribuer des mandales par paquets de dix.
"Il ne s'agit pas de vengeance, il s'agit de justice" clame le personnage arrivé à mi-parcours.
Et si on pourrait tout de même le faire redescendre en lui faisant remarquer qu'il prend les choses un peu personnellement tout de même effectivement le personnage et donc le film nagent à contre-courant des histoires de vengeances habituelles.
C'est ainsi la force du film d'avoir su faire déborder de charisme Pierre Niney sans pour autant tomber dans la facilité. A quand remonte la dernière fois qu'un personnage de cinéma a accompli une vengeance sans violence ?
Une belle brochette de salopards
Enfin le dernier point qui permet au film de supplanter Les Trois Mousquetaires : les méchants (disons plutôt antagonistes puisque Dantès deviendra presque le méchant vers la fin) sont identifiables rapidement.
Laurent Lafitte, Bastien Bouillon et notre bon vieux Patrick Mille qui décidément ne quitte plus le Dumas-verse sont ainsi particulièrement savoureux en conspirateurs qui se tiennent tous plus ou moins par les roubignoles en ignorant que leurs propres roustons sont dans les mains des autres.
Le genre de groupe de salopards qui ne demande qu'à tomber et dont on se délectera forcément des mésaventures et autres moments gênants que le Comte va leur servir, avec comme point culminant une séquence de dîner jouissive où le personnage de Patrick Mille apporte une telle touche d'ironie que toute la salle riait en dépit du suspense palpable de la situation.
Mais c'est bien entendu Pierre Niney qui va se tailler la part du lion en campant un double personnage très en avance sur son temps car proche d'un Bruce Wayne : le mec habite dans un manoir immense avec passages secrets et manigance ses plans dans une cave sombre où se trouvent son déguisement et son masque... Old Boy et maintenant Batman, décidément Dumas était un visionnaire incroyable !
Niney qui de son côté n'en finit plus de prouver à chaque film qu'il peut tout jouer à l'instar de son pote François Civil est une nouvelle fois brillant et tout en subtilité lorsqu'il doit passer de Edmond au Comte au point que le premier ne finisse par exister plus que par les reflets dans les miroirs de la bat-cave.
Le Compte de Monte-Cristo est un tour de force.
Un tour de force d'écriture puisque parvenant à captiver pendant trois heures le public en ne lui servant que deux scènes d'action tout en ne perdant jamais le fil du plan machiavélique du héros.
Un tour de force d'efficacité de la part de ses réalisateurs qui ont signé une telle fresque avec un tournage et un montage extrêmement courts et qui en dépit des attentes et des craintes n'ont pas été synonymes de bâclage et de catastrophe industrielle.
On l'a lu un peu partout ces dernières semaines et c'est bel et bien le cas, Le Compte de Monte-Cristo est un grand film made in France qui montre l'envie de nos cinéastes de faire autre chose que de la comédie ou du drame social et de le faire plus que bien !
Note : 4/5