Après avoir visionné pour la première fois Le Nom de la Rose, on se pose forcément cette question : comment est-il possible de passionner le spectateur à ce point avec un postulat pareil ?
On ne parle pas là d'une proposition de cinéma classique : il s'agit d'une histoire abordant ouvertement la question de la foi et de l'extrémisme religieux dans une époque lointaine donc pas forcément le genre d'idée qu'on présente à un producteur en étant certain que le gus va balancer deux sacs de 50 millions de patates sans discuter quand au succès que rencontrera le film.
Réponse ; il faut s'appeler Jean-Jacques Annaud.
Cinéaste plutôt discret et à la filmographie pas si fournie étant donnée la longueur de sa carrière (15 films en quarante-cinq ans, ce n'est pas une fréquence honteuse non plus attention), Annaud livrait avec son quatrième film un carton commercial mais également ce qui serait son chef d'oeuvre intemporel.
Certes la suite de sa carrière fut ponctuée de films mémorables tels que Stalingrad, Sept ans au Tibet ou encore Or Noir mais si son sens de l'épique n'a jamais été remis en question on ne peut pas dire que ses autres films ont su à ce point mettre tout le monde d'accord sur leur aspect exceptionnel.
Bref comme on associe Tarantino à Pulp Fiction, Spielberg au Soldat Ryan ou John Woo à The Killer, Jean-Jacques Annaud sera à jamais l'homme qui a réalisé Le Nom de la Rose. Et cela tombe bien le film est ressorti ces dernières semaines en version remasterisée, c'est donc l'occasion idéale pour le découvrir ou le redécouvrir !
Huis clos médiéval
Dans une abbaye bénédictine reculée du Nord de l'Italie, les moines sont confrontés à la mort mystérieuse de l'un des frères. Le frère Guillaume de Baskerville et son disciple Adso tous deux franciscains sont envoyés sur place pour enquêter sur le décès du moine dans le but de s'assurer que la rencontre entre plusieurs castes de l'Eglise qui doit avoir lieu dans l'Abbaye ne soit pas parasitée.
Une fois sur place les deux frères commencent à douter du caractère accidentel de la mort lorsqu'un second moine est retrouvé mort.
Commençant au départ comme un film sur les rivalités entre les différents ordres, Le Nom de la Rose surprend avec son approche à la Conan Doyle où un duo de détectives va enquêter sur une série de meurtres.
Confinés dans l'abbaye Guillaume et Adso vont se heurter à un ordre moins tolérant que le leur tandis que la soutane commune aux frères fera de n'importe quelle silhouette capuchonnée un suspect potentiel qu'on ne pourra pas différencier des autres (à une exception près - difficile de confondre le frère Salvatore avec un autre -).
Pour découvrir le secret de l'abbaye les franciscains seront amenés à interroger des moines plus ou moins ouverts d'esprits et pas toujours enclins à leur ouvrir les portes les plus mystérieuses de la bâtisse.
Sans rire si on ne savait pas via quelques costumes et le datage de l'histoire on tient bel et bien les bases d'une murder party digne de ce nom avec un lieu unique, des tas de suspects et des meurtres qui s'enchaînent.
Huis clos mental
Mais si il pouvait sembler saugrenu de transposer le principe de la murder party au sein de l'Eglise médiévale, il faut savoir que les murs de l'église ne seront pas les obstacles les plus difficiles auxquels se confronteront nos deux policiers d'avant l'heure.
Parce que derrière cette histoire d'enquête le film compte bien aborder frontalement la question de l'obscurantisme.
Les bénédictins et leurs allures toujours lugubre semblent tous cacher un secret inavouable et rares seront ceux qui coopéreront volontiers avec nos amis franciscains.
Les murs de la bâtisse ne sont ainsi pas les seuls remparts derrière lesquels les frères sont enfermés et l'enquête en soi n'est pas si compliquée à résoudre : objectivement même si l'histoire est très bien ficelée les rebondissements ne sont la plupart du temps causés que par une foi trop appuyée.
L'assassin frappe ainsi très facilement et les morts successives des bénédictins ne remettent presque jamais en compte les consignes de l'abbaye.
Mais nos deux héros sont observateurs et leurs déductions couplées à une petite dose de chantage sauront leur ouvrir les portes du donjon et de l'esprit des plus fanatiques jusqu'à la découverte de la stupéfiante vérité.
Une ode à l'érudition
Sean Connery et Christian Slater en Sherlock et Watson médiévaux vont ainsi devenir les rayons de lumière que le spectateur va suivre à travers ce lieu et cette époque bien sombres. Au sens figuré comme au sens propre par ailleurs : avez vous remarqué la différence de couleur des habits des héros par rapport à ceux des résidents de la bâtisse ?
Car face à l'obscurantisme la connaissance et le savoir sont les meilleures armes auxquelles les hommes peuvent faire appel nos deux protagonistes vont se sortir de situations parfois périlleuses par leurs capacités d'observation et par leur éducation.
Ainsi lorsque le maître et son pada... son disciple (oui j'assume qu'on pourrait faire un remake du film dans le Temple Jedi) se retrouvent enfermés dans le labyrinthe le plus lugubre du 7ème Art comment vont-ils s'en sortir ? Grâce aux livres. Certes les astuces de chacun leur permettront de s'orienter mais c'est bien la lecture et la voix d'Adso qui vont réunir les deux moines.
D'ailleurs quelle séquence que cette errance dans le donjon...
Entre les décors gothiques à peine éclairés, les pièges possibles, le gimmick du fil d'Ariane et les petits coups de stress causés par le hors champ (c'est dingue comme un simple bruit de pas peut faire monter la pression) on tient là la meilleure séquence de tout le film !
C'est bien simple à l'issue de ce monument de suspense le film en devient presque un poil moins prenant, Annaud ne parvenant pas à reproduire le même genre de concentré de mystère et de puissance du savoir par la suite.
Attention le reste du film n'est pas non plus avare en moments remarquables : la confrontation entre les bénédictins et les représentants du Pape, la séquence des bûchers ou encore le personnage du père Bernardo Gui qui incarnera à lui seul le fanatisme dans lequel l'abus de foi peut conduire.
Et bien entendu il y aura Ron Perlman dont la première apparition est aussi comique que virtuose : son faciès étant confondu habilement avec les gargouilles de la crypte. Ce n'est pas l'acteur fétiche de Annaud pour rien !
Bon on pourrait aussi citer la scène de sexe qui comme à chaque fois chez Annaud est d'un érotisme et d'une intensité incroyables en dépit du lieu et des conditions dégueulasses dans laquelle elle se déroule, mais en vrai sans être gratuite elle est peut être un peu longue.
Il y avait tout pour se faire chier dans l'idée de base : des moines enfermés dans un monastère et qui mènent l'enquête, clairement on ne s'attendait pas vraiment au film le plus palpitant de l'histoire étant donné le caractère pas franchement cinématographique de l'image du moine.
Et pourtant Annaud grâce à sa mise en scène subtile et sa maîtrise des ombres et du hors champ passionne son spectateur au point d'arriver à le faire lui aussi douter du niveau de la menace : moine judas ou bien présence du Malin ?
Si vous ne l'avez pas encore découvert et si vous pensez qu'un film de moines ne peut pas passer comme un souffle alors détrompez vous et corrigez votre erreur en vous ruant sur le DVD ou le Blu Ray !
A défaut tâchez de ne pas le rater lors de sa prochaine diffusion...
Note : 4.5/5