Certains films n'en ont pas l'air comme ça, et pourtant derrière leurs affiches qui sentent bon le chlorof... euuuh le cinéma d'auteur se cachent parfois de véritables pépites.
Délicieux est d'autant plus surprenant qu'il a été réalisé par Eric Besnard, et si ce nom ne vous dit rien je parie que vous avez entendu parler de Made in France, L'Empereur de Paris ou Le Convoyeur. Il est ainsi inattendu de la part d'un scénariste de polars et films historiques de se frotter au film d'époque via un angle aussi inédit que celui de la cuisine.
Sorti en catimini lors de cette fabuleuse époque où nos gouvernants n'avaient rien trouvé de mieux que de nous priver de cinéma et de restaurants pour ne nous laisser que le travail, Délicieux s'est viandé au box office : 140 000 entrées.
Et pourtant avec le recul c'est exactement le genre de film qui aurait mérité de cartonner tant les valeurs qu'il défend étaient cruellement d'actualité puisque le scénario imaginera la naissance du premier restaurant de France tout en dépeignant une société au bord de l'implosion.
Un relent de Révolution
Quelques années avant la prise de la Bastille, Pierre Manceron est le chef cuisinier attitré du duc de Chamfort. Lorsqu'il décide de sortir du menu exigé par le duc pour ses invités, Manceron est moqué par l'assistance en raison de la présence de pomme de terre dans l'un des plats créés pour l'occasion.
Le duc renvoie alors Manceron qui retourne vivre dans son relais postal. Ayant perdu le goût de cuisiner, l'homme se limite à la préparation de pain et de soupes pour les coursiers. Mais l'arrivée de Louise qui désire apprendre à cuisiner va motiver Manceron à reprendre son métier et peut être même à le partager avec le plus grand nombre.
J'aime comparer le ton qui règne dans Délicieux à celui que l'on trouvait dans Mon Oncle Benjamin de Molinaro. Certes il n'y sera nullement question de coucheries et de libertinage, mais les deux oeuvres saisissent à la perfection cette atmosphère presque tendue d'une époque où les paysans et les petites gens commençaient à ouvertement répondre aux nobles.
Démarrant par une séquence presque outrancière dans la salle à manger du duc où tout est étincelant et où les convives portent tous de luxueux vêtements et se plaisent à trouver de savants mots pour illustrer leur repas, le film va en quelques minutes nous renvoyer dans la sinistre auberge relais de Monceron pour un contraste des plus extrêmes.
Et pourtant le public va vite se prendre à aimer cette petite baraque !
Une presque fable
Décrit par l'intendant comme un "ours", Monceron pourrait effectivement s'opposer aux ânes nobles à travers ce scénario plus subtil qu'on ne pourrait le croire.
Parce que s'il sera effectivement question de cuisine, il sera surtout question d'inégalités entre différentes castes : hommes et femmes, riches et pauvres, cuisiniers et ignorants.
C'est qu'à cette époque la bonne chère n'était réservée évidemment qu'à la noblesse qui se plaisait à penser que le commun des mortels ne savait pas apprécier la nourriture, rendant l'idée de restaurant tout à fait inconcevable (curieusement c'est d'ailleurs toujours plus ou moins le cas aujourd'hui dans certains milieux).
Ainsi notre ours mal léché puisera sa vengeance dans son art et fera au passage tomber ses propres barrières en prenant comme apprentie Louise, lui qui en début de film jugeait que la cuisine n'était pas faite pour les femmes (là par contre niveau idée reçues on peut dire que ça a bougé).
Cette chute des barrières sera d'ailleurs visible à l'écran dans la métamorphose de l'auberge qui s'illuminera de plus en plus au fur et à mesure que Monceron ouvrira son esprit et partagera ses connaissances avec les clients, jusqu'à devenir un chaleureux cadre champêtre.
Des personnages exquis
D'ordinaire je ne suis pas un grand admirateur de Grégory Gadebois, mais Délicieux étant un film qui invite à l'ouverture d'esprit j'ai été très agréablement surpris par l'excellence de sa composition à la fois rustre et tendre.
Isabelle Carré de son côté sera parfaite dans la peau de Louise dont les secrets seront assez inattendus tandis que Benjamin Lavernhe agace à chaque apparition en duc de carnaval. Un antagoniste aussi énervant que pathétique dont le goût de la cuisine cache en réalité son amour du luxe et du pouvoir.
Enfin comment ne pas dire quelques mots sur Guillaume de Tonquédec qui après avoir brillé pendant dix ans dans la peau du bourgeois contemporain Renaud Lepic connaît ses gammes de coincé n'attendant au fond que de faire tomber ses préjugés. Malgré une présence qui doit être de l'ordre de dix minutes, son personnage qui mange une pâte de fruits constitue l'une des séquences les plus réjouissantes, et je ne parle pas de sa participation lors du repas final.
Un léger manque de gourmandise
Justement, ce plan de Tonquédec qui semble atteindre la jouissance en croquant un carré fruité a beau mettre l'eau à la bouche, je ne peux pas dire qu'il en soit autant pour le reste du film.
Ce n'est pas qu'il n'y a jamais d'images susceptibles d'ouvrir l'appétit ou qui sublimeraient les aliments : il y en a et ce sont même parfois de très beaux tableaux. Mais pour autant on s'attendait à davantage de gros plans sur les personnages aux fourneaux.
De ce côté là hormis au départ avec le générique qui défile pendant que les mains de Gadebois façonnent une pâte brisée tandis que le plan fixe ne nous épargnera aucune étape, il ne faudra pas espérer beaucoup et c'est bien dommage ! Après tout on parle de cuisiner et de rassembler les gens autour d'un bon repas, soit ! Mais si on ne sait pas vraiment à quoi ressemblent les plats de Monceron, c'est un peu embêtant.
Délicieux à travers son histoire de prime abord soporifique de cuisinier congédié par son maître est incontestablement l'un des films les plus intelligents que le cinéma français ait proposé ces dernières années.
Non seulement les messages sont traités subtilement et quelques répliques font mouche (la pique de Monceron sur les frites est bien sentie) mais en prime le film fait honneur à deux pans importants de notre culture.
D'une part il est un objet cinématographique réussi avec un visuel charmant et travaillé, et de l'autre il rappelle la place importante qu'occupe la restauration dans notre patrimoine.
Note : 3.5/5