Cela n'aura échappé à quasiment personne qui aurait traîné sur internet ces dernières semaines, la plateforme Disney+ diffuse depuis aujourd'hui sa nouvelle série historique : Shogun. Un show ambitieux qui a pour lourde tâche de réconcilier la firme aux grandes oreilles avec le public après une année 2023 misérable.
Mais la série a également un autre défi à relever : se montrer à la hauteur de la première sortie en 1980 !
Car à la base Shogun est un roman de James Clavell et la série qui vient de débarquer sur nos écrans n'est pas la première adaptation de cet ouvrage, et il faut savoir qu'à l'époque de la première série le public avait été stupéfait de voir un tel projet porté à l'écran.
Avec quarante ans au compteur on pourrait croire que la série aurait mal vieilli, mais l'avantage des oeuvres avant-gardistes c'est qu'elles résistent mieux au passage du temps, et dans le cas de Shogun on ne pourrait trouver meilleur exemple pour illustrer cette théorie !
Thématiques et cadre originaux
Alors que le public de ces années là était passionné par les séries policières et les westerns, Shogun apparut comme une proposition novatrice en décalage complet avec la concurrence.
Se déroulant au Japon au XVIIème siècle la série met en scène John Blackthorne le pilote d'un navire anglais chargé de rejoindre l'archipel pour forger une alliance entre les deux pays. Mais le navire s'égare en pleine tempête et fait naufrage. Capturés par les samouraïs Blackthorne et son équipage découvrent un pays où le respect et les codes dirigent la vie quotidienne tandis que les seigneurs locaux s'affrontent pour devenir le Shogun. Pendant ce temps les jésuites portugais et espagnols qui ont déjà un pied dans la place ne voient pas d'un bon oeil l'arrivée de l'équipage anglais.
Non seulement le cadre est assez inédit pour l'époque, mais en plus le scénario ne met pas en valeur la figure occidentale venue porter secours aux étrangers. John Blackthorne (alors campé par Richard Chamberlain) a beau être le personnage principal, il ne sera que rarement impliqué dans le récit par sa propre initiative. La plupart du temps chacune de ses actions sera dictée ou plus ou moins prévue par Toranaga Sama.
De plus les sous-intrigues politiques seront nombreuses et un redoutable jeu d'alliances se met en place dès les premiers épisodes. Entre les daimyos qui s'affrontent discrètement pour éviter une guerre ouverte et les occidentaux qui cherchent le profit, notre pauvre Blackthorne renommé Anjin San (Anjin signifiant "pilote") n'aura guère l'occasion de briller par ses propres capacités.
Des partis pris audacieux
Mais la véritable force du show est justement de nous plonger aux côtés de Anjin San à la découverte d'une civilisation inconnue !
Ainsi que l'a très bien souligné Hiroyuki Sanada (producteur et acteur principal de la nouvelle version) à l'époque le public occidental n'était pas très familier avec l'histoire japonaise.
Imaginez donc en 80 une série où les deux tiers des dialogues sont parlés en langue japonaise... Sans le moindre sous titrage !
D'ailleurs si vous achetez le coffret DVD aujourd'hui n'espérez pas une piste de sous titres français pour vous aider car la série n'a apparemment été diffusée qu'une seule fois (chez nous en tout cas) avec des sous titres.
Et quelque part je dirai tant mieux car le charme de Shogun est justement de nous faire partager l'expérience de Blackthorne de la façon la plus réaliste possible. Comme le personnage le spectateur ignore tout de ce qui se dit entre japonais tandis que les traducteurs jésuites pourraient très bien déformer ses propos pour le discréditer auprès de Toranaga ou des autres seigneurs.
Blackthorne avance ainsi à l'aveuglette et marche sur des oeufs pendant quatre épisodes de deux heures (!) en se heurtant à la barrière de la langue, aux traditions et aux coutumes parfois brutales.
Car là encore pour son époque la saga se montrait très crue avec notamment la toute première décapitation entièrement filmée pour une fiction télévisée ou encore quelques séquences de nu et de torture inhabituelles. Certes aujourd'hui on sourit en devinant que les acteurs portent des sous vêtements couleur chair qu'un éclairage tente de dissimuler, mais quelque part bien avant les orgies romaines de HBO ou Starz il y avait les bains coquins de Shogun !
Les limites du concept
Hélas il faut bien dire que malgré tout l'amour que je porte à la série je ne peux pas non plus faire l'impasse sur ses faiblesses, car il va bel et bien y en avoir.
Et pour commencer il y aura la compréhension de l'intrigue dans sa totalité.
Rassurez vous même si vous ne parlez pas un broc de japonais le montage et la présence de plusieurs interprètes dans l'histoire permettra d'expliquer les enjeux et les actions passées et à venir.
Malheureusement concernant les subtilités il faudra parfois se résoudre à ne jamais savoir véritablement ce qui s'est passé en coulisses, notamment à travers le personnage de Yabu campé par Franckie Sakai qui aura un destin étonnant dont on ignorera les détails qui ont conduit le personnage jusque là.
Enfin malgré la présence du dernier samouraï en personne j'ai nommé Toshiro Mifune le scénario n'accorde pas une place si épique au seigneur Toranaga. Quand on repense aux rôles de l'acteur on ne peut que regretter de ne pas le voir tirer son sabre au clair une seule fois.
Enfin même si chaque apparition du seigneur est mémorable et suffit à ce que l'on accepte son importance dans le pays l'intrigue ne lui accorde finalement pas tant de place que cela alors qu'à l'opposé la romance entre Mariko et Blackthorne se taille la part du lion.
Même chose concernant les guerres entre daimyos qui composent le coeur de l'intrigue politique : hormis lors du second épisode et pour une ultime bataille lors du volet final il n'y aura aucun affrontement à se mettre sous la dent. Un comble doublé d'une frustration lorsqu'on assiste à un tel défilé d'armures et de figurants arborant le katana tout au long de la série.
Si vous venez de découvrir les deux épisodes de la nouvelle version et que comme moi vous avez été très enthousiasmés par ce que vous avez vu, alors nul doute que vous devriez par curiosité jeter un oeil à la première série.
Mais cependant attendez que la nouvelle soit diffusée en entier pour vous lancer dans la découverte car de ce que j'ai pu voir les deux épisodes proposés aujourd'hui reprennent très bien la trame et les séquences cultes de l'époque (la décapitation, le plan dans le sable...) et il serait dommage que vous vous spoiliez la nouvelle série en regardant la première en parallèle.
Je proposerai bien sûr un avis complet sur le remake lorsque les dix épisodes auront été mis en ligne, mais pour le moment s'il y en a parmi vous qui sont fans inconditionnels de l'originale et qui se montreraient sceptiques je peux vous dire que le respect de l'histoire est là et que les rajouts sont bénéfiques.
Il y a bien plus de séquences sur Toranaga (qui pour mémoire n'apparaissait à l'époque que dans le deuxième épisode soit après deux heures) qui développent mieux la situation difficile dans laquelle se trouve le samouraï et le rythme est un peu plus élevé. Sans tomber dans l'hollywoodien la nouvelle version apporte déjà deux ou trois scènes d'action bien sanglantes mais qui sont rapidement expédiées car n'étant pas le coeur du récit.
Epatant de la part d'un produit diffusé par Disney+, mais on va attendre la fin pour voir si la série sera digne du show culte des années 80 !
Note : 4/5