Quand on y pense, il n'aura fallu qu'une poigné de films à Sergio Leone pour entrer dans la légende. Là où beaucoup de cinéastes se montrent prolifiques et terminent leur carrière avec une quinzaine de films à leur actif, Leone n'a en tout mis en boîte que huit films, dont deux que beaucoup considèrent comme des commandes, faisant de sa filmographie un enchaînement de deux trilogies : la trilogie des dollars et la trilogie des Il était une fois...
Six films qui pour la plupart auront réinventé le western spaghetti en piochant leur inspiration dans le cinéma japonais.
Pour une poignée de dollars était un remake assumé de Yojimbo de Kurosawa tandis que les fusillades expéditives dont Leone s'était fait le maître évoquaient les combats vifs et rapides des meilleurs chanbaras.
C'est en 1966 que Sergio Leone signe Le Bon, la Brute et le Truand qui forme le point final de sa trilogie des dollars et qui allait à jamais marquer le public. C'est bien simple Il était une fois dans l'Ouest sortira deux ans plus tard et ne parviendra pas en dépit de sa grande qualité à égaler ce troisième volet des aventures de l'Homme sans nom.
Aujourd'hui encore les gamins qui découvrent le film s'imaginent être Clint Eastwood face au terrible Sentenza tandis que les plus grands reverront leur point de vue et feront du personnage de Lee Van Cleef l'un des meilleurs méchants du 7ème Art.
Un film qu'on ne présente plus, mais qui passionne toujours autant.
L'art de poser une ambiance
Avec le recul le film propose une audace rarement reproduite au cinéma voir même jamais retentée.
Trois personnages dont les routes vont s'entrecroiser, il y aura donc un prologue consistant pour chacun des trois protagonistes.
Et si le premier consacré à Tuco sera le plus court segment, ces trois introductions qui sont presque des courts métrages occuperont quasiment une demi heure de film ! Une demi heure au cours de laquelle il n'y aura qu'une poignée de dialogues si on exclut les insultes de Tuco et encore moins de coups de feu, pourtant quelle entrée en matière...
Plus que jamais Sergio Leone abusera des gros plans sur les visages de ses personnages pour que leurs émotions parlent à la place du texte.
Lee Van Cleef sera le plus magnétique du trio avec son regard d'assassin capable de vous coller une sueur froide en dégustant une salade et en se coupant un morceau de pain. On sait d'ores et déjà en observant le visage de son "hôte" que la visite de Sentenza n'est pas désirée et qu'un coup de feu va partir, reste à savoir quand. Tiens tiens... Un ancêtre du Hans Landa de Tarantino ?
Cet art de construire une séquence sans en dire trop et de faire monter le suspense à un rythme régulier a beau être la marque de fabrique de Leone, le réalisateur s'est cette fois-ci surpassé en sélectionnant avec soin le moindre figurant de son film à tel point que même des rôles muets n'apparaissant qu'une poigné de secondes dans le film marqueront à jamais le western.
On pense par exemple à cet orchestre de prisonniers sudistes dont le violoniste saura faire couler quelques larmes en trois plans seulement ou encore à cette vieille dame effrayée par Tuco qui prendra un malin plaisir à grogner dans sa direction.
La petite histoire dans la Grande
L'un des points les plus appréciables de l'écriture du film est qu'il va enfin innover et ne plus trop lorgner sur le cinéma de Kurosawa. Ce n'est pas que je n'aime pas Pour une poignée de dollars ou Et Pour quelques dollars de plus (j'aime beaucoup le premier et j'adore le second) mais l'histoire ne prenait pas forcément de risques par rapport au matériel original.
Le Bon, la Brute et le Truand va ainsi s'affranchir du schéma "un pistolero fait face à une ou deux bandes de desperados" et va mélanger fiction et histoire en se déroulant au cours de la guerre de Sécession.
Une idée géniale qui va permettre à Leone de régulièrement rebattre les cartes pour modifier les alliances et faire carrément changer ses personnages de camp en fonction des besoins du trio.
Cette quête d'un immense pactole doré sera pour Leone l'occasion de mettre en scène quelques coups de revolver dont il avait le secret tout en dépeignant les ravages de ce terrible conflit en allant par ailleurs assez loin.
Là où les westerns de l'époque présentaient en général des cavaliers yankees courageux et de sales sudistes esclavagistes, Leone prend le risque de montrer des soldats fatigués, alcooliques et violents dans les deux camps et adoptera presque une approche nihiliste avec une bataille aussi mémorable qu'inutile.
Quand on voit à quel point les quelques séquences dans le camp de prisonniers ou l'intrigue du pont sont acides, on ne peut qu'amèrement regretter que Leone soit décédé avant d'avoir pu réaliser un vrai film de guerre.
De l'importance de la musique
En version longue (que je vous conseille fortement en dépit de doublages qui changent en cours de film pour la VF) le film dure 2h45.
Presque trois heures donc où les coups de feu seront très rares et où les dialogues ne seront finalement pas si présents que cela en dehors des séquences consacrées à Tuco.
Pourtant aucune seconde du film n'est à jeter et à aucun moment le spectateur ne trouvera le temps long, car si le film est à mes yeux le sommet de la carrière de Leone, il sera également l'occasion pour Ennio Moricone de signer une composition épique, émouvante et inquiétante qui parlera parfois à la place des personnages.
Ainsi les retrouvailles entre Tuco et son frère s'achèveront par une bousculade déchirante et tandis que le truand semble partir sans regretter son geste, quelques notes de guitare désamorcent la brutalité du bandit qui aura certainement bien plus de remords.
Des séquences qui parfois seront extrêmement longues passeront ainsi comme un souffle grâce aux mélodies du compositeur, faisant oublier au spectateur qu'il faudra cinq minutes lors du duel final pour que les personnages se décident à dégainer. Images et musique s'allient parfaitement pour illustrer l'hésitation des tireurs, qui approchent puis éloignent leurs mains des colts jusqu'à ce que la mélodie et l'accélération du montage n'annoncent l'imminence du tir final.
Pour le coup, s'il y a bien une fois où le cinéma japonais a été dépassé par la concurrence, c'est sur ce duel où même l'iconique face à face entre Toshiro Mifune et Tatsuya Nakadai à la fin de Sanjuro semblera fadasse en comparaison de cette impasse mexicaine légendaire.
De l'iconique à la pelle
Difficile de prétendre qu'un tel climax ne justifierait pas à lui tout seul le visionnage du film. Pour cette seule séquence qui achève la trilogie sur une note inoubliable on parlerait déjà de grand film. Mais il y en a tellement d'autres au cours de ces trois heures que le terme chef d'oeuvre sera amplement justifié.
- Dis donc toi, tu sais que t'as la tête de quelqu'un qui vaut 2000 dollars ?
- Oui... Mais toi tu n'as pas la tête de celui qui les encaissera. Allez amigo, recules".
- Tu ne le connais pas, et pourtant tu l'appelles.
- Je veux un pistolet...
- Un pistolet...
- UN VRAI PISTOLET !
J'ai choisi ces trois répliques qui ne sont pas forcément les plus célèbres, pourtant je parie que non seulement vous avez eu en tête chaque séquence associée mais qu'en plus vous êtes prêts à m'en citer au moins vingt autres dans le genre.
Le film n'arrête jamais de faire dans l'iconique et dans le culte : Clint Eastwood qui lance ses chevaux en tirant un coup de fusil Henry, Sentenza qui vide son flingue à travers un oreiller avant de rire cruellement, Tuco qui nargue le caporal nordiste, le regard horrifié de la jeune femme qui découvre sa famille masscacrée tandis que la caméra tournoie pour accentuer le vertige... Rarement un cinéaste aura été aussi virtuose en seulement 2h45 de métrage.
Pour être un tantinet objectif il pourrait y avoir un seul reproche à faire au film : la Brute alias Sentenza n'a pas un traitement aussi généreux que les deux autres.
Le chasseur de primes disparaît parfois pendant une demi heure et même si ses retours sont toujours inattendus , l'interprétation de Van Cleef fait que ce tueur froid et sadique finit par manquer.
Fort heureusement la version longue ajoute une séquence complète qui rend la présence de Sentenza dans le camp de prisonniers plus cohérente.
Il y a des films qui peuvent à eux tout seuls définir un genre cinématographique. Le Bon, La Brute et le Truand est de ceux là et sera à jamais le western par excellence.
Il n'a pas prétendu mettre un terme au genre et bien d'autres sont sortis depuis et continuent même à sortir aujourd'hui sous des formes plus modernes, voir revisitées.
Pourtant quel western est parvenu depuis 1966 a associer une intrigue de qualité, un casting de gueules jusque dans les silhouettes, des images épiques et une musique qui frappe en plein coeur ?
Aucun. Même Leone n'a pas réussi à reproduire le pari avec l'Harmonica et Franck deux ans plus tard.
Note : 5/5