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Ma dose de cinéma

Tabou - Chanbara provoc'

Publié le 12 Août 2023 par Gaffeur in Drame,, Historique, Takeshi Kitano, Romance, Japon

Une affiche épurée, mais qui résume bien le concept

Une affiche épurée, mais qui résume bien le concept

Lorsque Takeshi Kitano a projeté à Cannes il y a quelques mois son dernier long métrage Kubi, les critiques ont visiblement apprécié l'humour corrosif et sanglant du film ainsi que plus étonnant le traitement ouvertement gay de certains personnages. 

On pourrait ainsi penser que Kitano a choisi de lui aussi se laisser parasiter par le mouvement woke, mais il faut savoir que les cinéastes japonais n'ont pas attendu les offensés chroniques du net pour aborder le thème de l'homosexualité des samouraïs. Kitano lui même avec son génial remake de Zatoichi avait placé un personnage trans qui avait apporté une touche d'originalité à l'histoire. 

Mais pour trouver le film le plus provocateur sur le sujet il va falloir remonter un peu plus loin, à 1999 précisément et du côté de chez Nagisa Oshima. 
Ce nom ne vous dit rien ? Et bien pourtant je suis convaincu que vous connaissez de réputation son film le plus culte et sulfureux : L'Empire des Sens... Aaaaaah là je sens que j'ai votre attention curieusement !

C'est donc parti pour Gohatto (ou Tabou pour l'occident) ou bien les guerriers japonais revisités par le mec qui fut le premier a incorporer des plans de fellation dans un film non destiné à l'industrie pornographique... Oui clairement il ne faut pas se lancer dans le visionnage en espérant un film de sabre classique. 

L'allégorie des combattants qui comparent leur manche (j'assume)

L'allégorie des combattants qui comparent leur manche (j'assume)

Le pitch

Pendant un tournoi au cours duquel seront choisies les nouvelles recrues du Shunsengumi, un sabreur nommé Sozaburo Kato retient l'attention des samouraïs de par son style de combat redoutable.
Mais bien vite la beauté du jeune Kato va compromettre la discipline et l'ordre qui règnent au sein de la milice. 

Au coeur du Shinsengumi

Avant d'être une oeuvre provocatrice, Gohatto (oui rien à faire je n'aime pas le titre français) est avant tout un film qui fera la part belle au Shinsengumi.
Sorte de milice assurant la sécurité de la ville de Kyoto juste avant la chute du Shogunat, l'organisation est au centre du récit.

Nous sommes ainsi invités à découvrir le fonctionnement de cette caste devenue légendaire (on ne compte plus le nombre d'oeuvres de fiction qui mettent en scène ces flics au katana) avec ses règles strictes et sa recherche des meilleurs combattants pour alimenter ses effectifs. 

Entraînements, patrouilles nocturnes, interventions contre des espions, exécutions de traîtres ou de membres ayant manqué à leur devoir, permission au quartier des fleurs, les activités du Shinsengumi ne manquent pas et permettent de constamment varier les situations.

Des situations assez classiques si on connait bien le genre, mais la véritable originalité du film ne résidera pas dans sa manière de décrire le Shinsengumi mais bien dans sa façon d'aborder les membres de la milice. 

Dans le coeur des guerriers

Dès la première séquence, Nagisa Oshima ne perd pas son temps et abordera en voix off via le personnage de Kitano la question de l'homosexualité au sein des membres de la police de Kyoto.

Une thématique qui ne manquera pas de faire grincer les dents à l'époque de sa sortie (et qui on ne va pas le cacher en ferait grincer encore d'autres aujourd'hui pour les plus étroits d'esprits) mais qui pour autant n'est pas abordée de manière frontale ni gratuitement. 

Contrairement à L'Empire des Sens qui comportait des séquences pornographiques, Gohatto est de ce côté là très sage, pour ne pas dire pudique. A l'exception d'une rapide séquence d'agitation sous les couvertures et d'un ou deux baisers volés Oshima ne réitère pas le scandale d'ébats sexuels non simulés et préfère aborder la question des sentiments plutôt que de la sexualité. 

Des sentiments qui finalement ne semblent pas forcés ni même improbables car après tout ces hommes se respectaient tellement et vivaient ensemble H24 par conséquent pourquoi des idylles ne seraient-elles pas nées au sein du Shinsengumi ? 

C'est la différence entre ce genre d'oeuvre et le woke : ici la thématique n'est pas forcée et n'est pas là pour cocher une case.

Quelques séquences sont purement magnifiques

Quelques séquences sont purement magnifiques

Une réalisation parfois bâclée

Comme beaucoup de films de sabre avant lui, Gohatto va mettre en scène des passages obligés du genre : séquences éclairées à la lanterne, combats chorégraphiés à la perfection ou encore duels nocturnes. 

Sans révolutionner le genre, Oshima se montre la majorité du temps très efficace dans son montage et son cadrage avec quelques séquences qui resteront gravées longtemps dans les mémoires par leur beauté (on songe à l'arrivée de la geisha et des shikomikos ou encore au duel final dans la brume).

Malheureusement le film ne dure que 100 minutes et le réalisateur a tendance surtout dans le premier acte à passer énormément de choses sous silence et à procéder à des ellipses grossières ponctuées d'encarts expliquant l'évolution des liens entre les personnages. 

Un procédé tout simplement incompréhensible... Pourquoi mettre des panneaux au lieu de tourner des séquences qui expliqueront mieux les intentions des personnages et leurs rapports ? Par peur de choquer ?
Venant du réalisateur de L'Empire des Sens, j'ai du mal à y croire...

Mais du coup, qui baise qui ? 

Le principal soucis qui découlera de cette réalisation en dents de scie sera alors la qualité ainsi que la clarté de l'intrigue.
Car très rapidement une fois la nouvelle recrue intégrée dans les rangs de la milice, des assassinats et des tentatives de meurtres vont se multiplier. 

Une idée très intéressante qui colle bien au sujet de l'amour et de la jalousie entre les guerriers : qui va jusqu'à tuer ses frères d'armes pour pouvoir séduire plus facilement le jeune nouveau ? 

Hélas, comme si les ellipses qui n'aident pas à saisir les motivations de certains protagonistes ne suffisaient pas l'histoire elle même est très confuse. Volontairement certes (a priori) mais cela n'aide pas à se passionner pour cette recherche d'un assassin qui passe trop souvent au second plan. 

C'est simple lorsque celui-ci attaque en pleine nuit sans parvenir à tuer sa victime et en laissant un indice derrière lui on n'avait pas eu de traces de la partie "thriller" depuis plusieurs dizaines de minutes... Le final quand à lui fera encore plus dans le flou avec de multiples sous entendus qui laissent entendre que la personne punie n'était pas coupable... Sans pour autant désigner un responsable pour autant !

J'aime à croire que le procédé est là pour expliquer qu'il n'y avait peut être pas qu'un seul coupable et que beaucoup sont passés à l'acte dans le but d'être celui qui finirait dans le lit de Kano. L'idée serait plutôt plausible mais le film nous laisse dans un tel flou que je ne saurais dire si ma théorie est la bonne... 

Pour une fois qu'il ne dit pas "bakayaro" toutes les deux répliques

Pour une fois qu'il ne dit pas "bakayaro" toutes les deux répliques

Gohatto sans être un mauvais film m'a tout de même assez déçu. 
Certes je n'ai pas regretté les décors ou les costumes qui me régalent à chaque fois que je regarde un chanbara et comme je l'ai dis certaines séquences marquent la rétine.

Malheureusement on peut difficilement pardonner ce montage trop chargé en ellipses qui va parfois carrément frustrer (on nous sert une sous intrigue sur un groupe d'espions qu'il faut éliminer mais une fois le combat entamé on ne nous en montre pas l'issue) et qui dessert clairement l'intrigue.

Pas si provocateur, Gohatto est un chanbara un peu plus original que la moyenne mais qui en dehors de son côté "queer" n'aura pas vraiment de raison de sortir du lot. 

Note : 2.5/5

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