Allez cela faisait longtemps que je n'avais pas joué les jeunes vieux en mode "c'était mieux avant", mais clairement lorsque Lino Ventura a cassé sa pipe en 1987 (quelle année de merde quand on y pense, c'est là qu'est sorti le tout dernier film d'action de Bebel qui hélas n'était pas une référence) une part énorme du cinéma français a été enterrée avec lui.
On parle d'un comédien tellement colossal dans chacune de ses apparitions que son simple nom évoque à lui seul la notion de bourrepif, de répartie cinglante et de boustifaille tant le gaillard s'en donnait à coeur joie pendant les scènes de repas.
Un dur parmi les durs dont il se murmure qu'il serait réellement descendu de voiture pour coller une pêche à un indélicat qui bloquait la circulation avant de remonter dans son véhicule comme un prince.
Bref le genre de comportement que Twittouille, V, ou je ne sais quel est le nom de cet agglutinement d'offensés n'aurait même pas osé reprocher si Ventura avait encore été de ce monde de crainte d'être les prochains sur la liste.
Oui, j'assume cette réflexion personnelle mais Lino Ventura a emporté avec lui le héros d'action à la Française car depuis plus aucun comédien n'a su dégager cette impression d'être une boule de nerfs qu'on aurait eu l'idée de mettre en scène dans des films d'aventures.
Et si j'ai toujours pris un réel plaisir à dénicher chacun des films auxquels a participé le gorille (Les Tontons Flingueurs, Les Grandes Gueules, Razzia sur la Chnouff et j'en passe) j'ai toujours été réticent à l'idée de découvrir Le Ruffian. Pour cause un trauma d'enfance car vers mes neuf ans j'étais tombé sur le début du film dont le ton très éloigné des autres films de Ventura m'avait choqué...
Pourtant il y a quelques semaines mon paternel qui n'aurait pas fait défaut autour de la table d'Amarante Bénar Shah à défourailler des espions chinois m'a plutôt bien revendu le film ce qui m'a donné l'envie de surmonter le choc qui allait sûrement paraître bien rigolo en comparaison de ce qu'a fait John Wick pendant quatre films.
Les Grandes Gueules au Québec ?
Après quelques minutes de films il est impossible de ne pas penser au film de Robert Enrico et à sa bande de repris de justice : un décor forestier époustouflant, le Canada que mentionnait Bourvil, un travail manuel harassant et des figurants qui semblent sortir tout droit du cachot... Ah ? On me balance dans la wikireille que José Giovanni qui signe Le Ruffian était dialoguiste et auteur sur Les Grandes Gueules... Comme quoi quand une thématique nous colle à la peau !
Fort heureusement Giovanni semble s'amuser de cette ressemblance pour mieux surprendre et choquer son public à travers une séquence de carnage aussi visuel qu'inattendu qui fera partir l'histoire dans un registre bien différent du film de Enrico.
Situé au Québec l'histoire propulsera ainsi Aldo l'un des rares rescapés de la tuerie sur les fleuves et les routes du pays à la recherche d'alliés afin de récupérer un chargement d'or perdu pendant sa fuite.
Nulle question cette fois-ci d'anciens taulards qui aideraient un scieur à faire tourner son affaire, notre Lino préféré se la joue véritable aventurier sans scrupules qui n'hésitera pas à semer des compagnons de route douteux à la première occasion.
Une histoire qui ne se refuse rien
Sorti en 1983 le film bénéficie de moyens visiblement importants pour que l'aventure d'Aldo soit la plus spectaculaire possible, avec un tel cadre il aurait été tout de même dommage de ne pas proposer des panoramas aussi fantastiques.
Des images splendides qui sauront trouver un équilibre entre potentiel cinématographique et réalité du climat : on ressent presque l'humidité de certaines séquences. Et lorsque le tout est habillé par une musique d'Ennio Morricone qui n'a pas à rougir face à ses meilleures partitions de westerns, on peut dire que Giovanni a mis les petits plats dans les grands pour que son film ait de la gueule !
Et comme si cela ne suffisait pas le réalisateur a réussi à entourer Lino Ventura avec des seconds rôles prestigieux, citons évidemment Bernard Giraudeau et Claudia Cardinale bien que cette dernière soit finalement assez absente.
A ce stade sur le papier Le Ruffian devrait être un immense film d'aventures (ce que vend d'ailleurs son affiche), mais malheureusement l'ambition ne suffit pas toujours.
Des moments impressionnants...
Alors attention je ne suis pas en train de dire que le film est mauvais, bien au contraire Le Ruffian mérite amplement d'être visionné car comme dans tout bon film de Ventura il y aura des moments en avance sur leur temps et quelques coups bien placés !
Ce choc que j'avais vécu à neuf ans devant la fusillade au début n'a peut être pas le même impact aujourd'hui mais il demeure très audacieux et violent : la première rafale rompt avec le calme d'un dialogue paisible, le sang gicle, il y a des gros plans d'insert sur les armes, des gens désarmés sont abattus sans sommation... Giovanni n'a pas eu peur avec cette séquence de coller une tarte au public qui pensait naïvement retrouver l'ambiance des Grandes Gueules.
Une séquence mémorable qui ne sera d'ailleurs pas la seule puisque les flashbacks sur l'amitié entre Aldo et Gérard seront l'occasion de placer deux ou trois cascades osées (la plus célèbre étant évidemment celle sur la Tour Eiffel) tandis qu'en dépit de son âge avancé Ventura trouvera bien le moment de rappeler à des bikers qui il est... Sans s'énerver cela dit !
... mais pas assez nombreux
Hélas on en vient à ce qui ne va pas : ces bons moments sont là et font du film un sympathique divertissement, malheureusement ils sont assez rares et espacés par un rythme douteux.
C'est simple le film change parfois tellement de ton qu'on a du mal à croire que le Ventura qui déconne sur un billard est le même qui sauvera sa peau in extremis d'un carnage sanglant !
Enfin le scénario n'est pas mauvais en soi mais il passe beaucoup trop de choses sous silence pour qu'on ne ressente pas un sentiment d'inachevé : qui étaient les tueurs au début ? Les deux indiens également sont balayés de l'écran rapido pour revenir grossièrement dans le dernier acte.
De même que si il y a bien un peu d'action l'aventure manque tout de même... Ben d'aventures justement ! Aldo ne rencontre finalement pas tellement d'embûches pendant son parcours et les rares antagonistes à croiser son chemin seront dégagés en quelques minutes.
J'ai aimé Le Ruffian.
Parce que sans toute objectivité un film avec Ventura est toujours au minimum bon.
Mais je ne peux pas dire que je l'ai adoré où qu'il ait fait de la fin de carrière de l'acteur une sortie en fanfare (c'est son avant dernier vrai rôle de cinéma).
L'histoire avait un potentiel certain mais sa narration décousue et son rythme gâchent une oeuvre qui ne manquait pourtant pas d'ambition, d'idées, de moyens, ni d'audace.
En résulte un drame teinté de spectacle qui se regarde agréablement, mais il ne faut pas l'aborder comme un pur film d'aventures car de ce côté là même si Lino Ventura était toujours en forme à 64 ans il y a tout de même légèrement tromperie sur la marchandise.
Note : 3/5