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Ma dose de cinéma

L'été de Kikujiro - Kitano brille loin des armes

Publié le 14 Août 2023 par Gaffeur in Comédie, Humour, Japon, Takeshi Kitano

Un vieux yakuza et un gamin, vous y auriez cru ?

Un vieux yakuza et un gamin, vous y auriez cru ?

Il y a quelques semaines je vous présentais le surprenant Hana-Bi qui a propulsé Takeshi Kitano dans la cours des grands grâce au Lion d'Or remporté en 1997 à Venise. Un film très personnel dans lequel le réalisateur mêlait le polar et le drame familial pour un résultat des plus émouvants. 

Un film important qui avait enfin révélé le potentiel du cinéaste au monde entier, ce qui explique peut être que son film suivant L'Eté de Kikujiro soit son premier a être sélectionné au festival de Cannes dont il reparti malheureusement bredouille. Quoique quand on y pense avoir son film sélectionné à Cannes, c'est déjà une belle preuve de reconnaissance en soi !

Cependant quel dommage que les festivaliers n'aient pas accordé de prix au film car celui-ci sera encore plus personnel pour Beat Takeshi que son précédent long-métrage. En effet cette fois-ci il ne sera plus du tout question de yakuzas, de flics ou de flingues, L'Ete de Kikujiro étant l'un des rares films du cinéaste à être pensé ouvertement comme une comédie. 

Et quand on sait à quel point ses polars peuvent parfois être horriblement drôles (c'est terrible mais la séquence de Aniki mon frère qui revisite la roulette russe me fait toujours marrer) on ne pouvait qu'espérer de Kikujiro un film foncièrement drôle qui nous ferait passer un bon moment.
Mais à ce point là ... 

 

Deux personnages qui ne feraient qu'un ?

Deux personnages qui ne feraient qu'un ?

Le Pitch

Masao est un jeune écolier de Tokyo qui se prépare pour les grandes vacances. Malheureusement pour le garçon tous ses amis partent avec leurs parents, le club de foot ferme pour l'été et seule sa grand mère est là pour le garder. Mais lorsqu'une amie de la grand mère réalise la détresse de Masao qui n'a pas revu sa mère depuis longtemps, celle-ci charge son petit ami d'accompagner le garçon jusqu'à la mer pour l'emmener passer l'été chez sa mère. Au départ réticent, l'ancien yakuza finit par s'attacher au petit. 

Sur les routes du Japon

Autant pour moi ! J'avais dis qu'il n'y aurait pas de yakuzas dans le film, mais effectivement le personnage de Kitano est à la base un voyou sur le déclin.
Cependant n'allez pas espérer du film les traditionnelles séquences de canardage ou de torture que Kitano s'amuse toujours à rendre plus choquantes et drôles que jamais, pour une fois dans sa carrière (et ce ne sera pas la dernière) il se décide bien à ne pas faire dans la violence. 

Probablement inspiré par ses années d'humoriste de manzai Kitano nous propose cette fois-ci un road movie décalé où un gamin solitaire désabusé va trouver un ange gardien en la personne d'un voyou avec une âme d'enfant. 

Le genre de duo improbable qui va être emmené à effectuer quelques belles conneries et s'attirer au passage quelques ennuis qui forceront nos deux larrons à revoir régulièrement leurs plans pour un voyage plus improbable que prévu. 

Le film va ainsi nous mener d'un décor à l'autre avec comme objectif comme toujours chez Kitano cette mer si chère au cinéaste. Souvent dépeinte comme un échappatoire ou un point final dans la filmographie de Beat Takeshi, la mer est cette fois un espoir. L'espoir pour un garçon de retrouver sa mère et pour un voyou de seconde zone de se trouver un rôle dans la vie de quelqu'un. 

Totoro n'est pas loin

Totoro n'est pas loin

Mon voisin Kitano

Mais en plus d'être un road movie assez tendre et drôle, L'Eté de Kikujiro prend parfois des allures de fable, voir même de conte où la poésie et l'étrange vont parfois s'inviter à la fête. 

Car bien que le personnage de Kitano termine 90% de ses répliques par le mot "Bakayaro" (ce qu'on peut traduire par tête d'abruti, au passage je vous conseille évidemment la VO pour le parler de Kitano qui est difficilement transcriptible en VF) il devient rapidement pour le gamin une sorte de protecteur... A moins qu'il ne s'agisse d'un double ? 

Car en regardant de plus près beaucoup de séquences surréalistes ou d'effets de mises en scène mettent en avant les similitudes qu'ont Masao et son Tonton adoptif. Pas forcément bavards, joueurs, facétieux... Les deux personnages se ressemblent beaucoup et on se demande parfois s'il ne s'agirait pas de la même personne. 

Bon ok je pousse peut être un peu le bouchon, mais à minima toutes ses similitudes vont finir par rapprocher les deux personnages qui sans trop d'échanges verbaux vont tout de même finir par s'apprécier et prendre soin l'un de l'autre lors de quelques séquences où sans crier gare Kitano arrive à toucher son public. On pense notamment aux moments où l'innocence de Masao fait contraste avec les rares accès de violence du film, comme lors de la chute dans les escaliers.

Une pointe de mélancolie

Parce que même si le film est très drôle (toute la séquence au vélodrome est hilarante avec les pronostics foireux couplés aux crises de nerfs de Kitano) n'oublions pas chez quel réalisateur nous nous trouvons. 

En dépit d'un ton bien plus léger que de coutume, L'Eté de Kikujiro reste l'une des pièces d'une filmographie reposant sur la mélancolie, la solitude, la violence et la poésie. Notre cher Beat Takeshi interprétant un voyou (gentil mais voyou tout de même) ses vieux travers vont parfois reprendre le dessus et une ou deux bagarres seront à prévoir. 

Cependant même lorsque la violence fait surface, Kitano fait le choix de ne pas la montrer, sinon très peu. Des coups de poings hors champs, des personnages qui s'expliquent brutalement derrière un camion (ce qui donne en plus une touche comique à la séquence)... La violence est toujours un peu une fatalité chez le cinéaste, mais pas au point de la montrer aux enfants. 

Cette volonté de cacher les choses graves va ainsi donner quelques séquences de pure émotion, notamment lorsque notre yakuza va se mettre en quête de l'adresse de la mère pour une découverte qu'il tentera de maquiller. 

La plage, toujours la plage

La plage, toujours la plage

Définitivement à part dans la filmographie de Kitano, le film fait partie de ces oeuvres qui pourraient plaire à ceux qui n'aiment pas le style d'un réalisateur. Vous avez honte de rire devant Outrage ou Sonatine car la violence vous répugne ? Et bien L'Eté de Kikujiro pourrait tout à fait vous séduire avec son humour de sale gosse, à condition d'être prêts à accepter que comme à son habitude Kitano aime faire durer les plans. 

Souvent écrasés par de larges paysages, les personnages errent tranquillement pour un voyage lent où le véritable antagoniste serait la solitude (ce n'est pas pour rien que l'unique fois où le gosse est mis en danger résulte d'une séparation du duo). Soyez donc avertis qu'en dépit de ses dialogues bien sentis et de quelques gags façon cartoon le film n'est pas non plus un produit formaté sans âme qu'on torche en 80 minutes. 
C'est un Kitano très sage et plus grand public, mais cela reste un Kitano (un peu comme Zatoichi dans un autre registre).

J'ai beau avoir dévoré une bonne dizaine de films du réalisateur, celui-ci me surprend malgré tout à chaque fois et Kikujiro ne dérogera pas à la règle. 
Sublimé par une mélodie digne d'un Miyazaki signée Joe Hisaishi, l'histoire touche instantanément et nous embarque de surprise en surprise, de rencontre en rencontre pour une aventure humaine pleine d'espoir. Et cela fait du bien, surtout dans l'univers d'un réalisateur qui finit souvent ses films par un carnage bien sanglant. 

Note : 4/5

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