Avec une filmographie aussi riche que celle qu'il a développée au cours des années 80 et 90 on a du mal à croire que Robert Zemeckis soit tombé aussi bas avec le Pinocchio horrible en live action dont il a gratifié la plateforme de streaming de Disney. Rendons à César ce qui lui appartient, Alliés était un thriller honnête et Bienvenue à Marwenn un film qui rappelait que le bonhomme était l'auteur de l'une des créations les plus incroyables de l'histoire du cinéma : Qui veut la peau de Roger Rabbit.
C'est en 1988 que Zemeckis dévoila au public ce qui est sans doute le film le plus audacieux de sa carrière et pourtant pas le plus cité dans les conversations. Ne vous méprenez pas j'adore Retour vers le Futur et Forrest Gump mais Roger Rabbit reste encore aujourd'hui un tour de force qui n'a pas pris une ride !
Et pourtant l'idée était assez casse gueule : mélanger le film noir des années 50 aux cartoons afin de pouvoir ramener tout le monde en salles et satisfaire chaque tranche d'âge.
Après un tournage très long rempli d'artifices suivi d'une post-production que l'on devine très compliquée où les personnages de chez Disney ou Warner devaient avoir le même temps d'apparition à l'écran pour que chaque studio y trouve son compte, Zemeckis fit rêver les gosses et bluffa les parents ainsi qu'il l'avait escompté.
Une comédie pour les petits...
Tandis que Disney continue à se prendre taule sur taule en essayant désespérément de satisfaire tout le monde en n'offensant personne, on se dit en revoyant Roger Rabbit que ce n'est pourtant pas impossible !
Parce que malgré l'habillage années 50 à la sauce James Ellroy le film n'oublie pas sa partie comique et régalera les plus jeunes (et les plus grands aussi ne soyons pas faux jetons pour peu qu'on ait encore un peu de notre âme d'enfant) avec une dose de gags plus que généreuse ainsi que quelques poursuites remplies d'humour.
En dehors de la prouesse technique que constitue le film, sa grande force réside dans la cohérence de son mélange improbable. Oui le tout est à mourir de rire, mais ce n'est pas pour ça que les dessinateurs ont fait n'importe quoi avec les personnages !
Par exemple au début du film lorsque Eddie Valiant se rend dans un cabaret le gardien est un gorille tandis que les serveurs sont des pingouins, et ne parlons pas des fouines au look de mafiosi qui formeront une troupe de fripouilles qui n'aurait presque pas fait tâche dans un épisode des Incorruptibles.
... un polar pour les adultes
Parce que derrière les rires se cache une histoire finalement assez sombre à base de femmes fatales, de complots et de meurtres qui abordera par ailleurs des thématiques telles que l'infidélité ou l'alcoolisme ce qui est encore plus osé aujourd'hui devant cette volonté des studios de ne surtout pas risquer de froisser les consciences.
Entre deux numéros de Daffy et Donald Duck qui se canardent (tudum tss) tout en jouant du piano le film va dérouler une enquête palpitante qui détournera avec malice les codes du polar.
Toutes les situations que l'on attend d'un bon film de flics seront là : coups de feu, poursuites en bagnoles, interrogatoires musclés et bien entendu des coups de bluff... Mais avec un lapin animé complètement marteau en plein milieu pour mettre une pagaille particulièrement savoureuse.
Eddie Valiant, pépite d'écriture
Lorsqu'il y a presque dix ans on apprenait la mort de Bob Hoskins, non seulement j'avais l'impression d'avoir perdu un vieil ami, mais en plus que l'un des héros les plus insoupçonnés du 7ème Art était parti.
Avec son physique joufflu, son air renfrogné et son costume bon marché, Bob Hoskins ne collait pas vraiment aux canons du héros de film familial, mais il trouva le rôle de sa vie dans la peau du détective Valiant.
Et pour cause le personnage repose sur une idée géniale : c'est un grand gamin qui a toujours adoré les toons jusqu'à ce qu'un drame en rapport avec les personnages animés lui rappelle brusquement qu'il était un adulte.
L'écriture du film est maîtrisée de bout en bout, mais l'évolution de Eddie sera la partie la plus fantastique du récit.
Au départ simplement motivé par le fric, le déhanché de Jessica Rabbit et la gnôle, Eddie finit par retrouver son âme de gosse au contact de ses alliés en deux dimensions pour surmonter ses vieux démons, et ce n'est qu'en laissant revenir sa part d'enfance à travers un numéro de danse et de chant aussi mythique qu'hilarant que notre flic résoudra son enquête.
Certes il ne détruira pas l'Etoile de la Mort, il ne trouvera pas le Graal et il ne fera pas un carton sur les gangsters, mais justement l'héroïsme, le vrai n'est-il pas de surmonter ses faiblesses pour devenir meilleur ?
Et comme pour chaque véritable héros, le rival fut à la hauteur.
Un méchant d'anthologie
Je n'ai pas abordé l'idée la plus inattendue du projet : confier le rôle du Juge Demort à Christopher Lloyd.
On aurait pu croire qu'après avoir interprété ce cher Doc Brown le gaillard aurait du mal à nous faire oublier son génie comique, et pourtant à l'image d'un Michael Keaton passant de Batman à Beetlejuice le résultat fut aussi étonnant qu'effrayant.
Soutenu par un thème musical qui fait froid dans le dos, le juge Demort tout de noir vêtu flanque les foies à chacune de ses apparitions et ses quelques notes d'humour sont si noires qu'on ne pourra jamais vraiment être à l'aise en présence du personnage pourtant sensé se trouver du côté de la Loi (mais bon avec une dégaine pareille qui pensait avoir affaire à un gentil).
La révélation sur ses véritables intentions ainsi que son identité sera au passage un twist remarquablement orchestré, à la foi choquant et malin.
C'est bien pour ça que j'aime autant ce film : il ne prend pas de pincettes et raconte son histoire avec humour mais avec suffisamment de noirceur pour effrayer sans pour autant coller des terreurs nocturnes aux gamins.
Depuis la sortie du film on peut noter quelques tentatives plus ou moins sympathiques de reproduire l'exploit (Space Jam premier du nom est assez culte mais dans une moindre mesure) mais aucune n'a réussi à se hisser au niveau de cette perle.
Parce qu'en abordant des thèmes sombres et en adoptant un parler assez argotique voir même grossier pour un film destiné au grand public, Zemeckis parvient à nous faire croire qu'un individu de chair peut rencontrer Sam le Pirate au coin de la rue. Un directeur de studio peut offrir un verre à un associé tandis que Dumbo viendra battre des oreilles pendant la conversation.
En clair Qui veut la peau de Roger Rabbit fait rêver, et c'est bien là l'essence du cinéma. Il se fiche de choquer, de dire des gros mots ou de faire des sous entendus coquins pourvu qu'à la fin on ait cru à son univers.
Quand on sait qu'après la sortie du film les enfants de Bob Hoskins ont boudé leur père car à leurs yeux il avait rencontré les Looney Toons sans les leur présenter, on peut dire sans sourciller que le film aura toujours une place à part dans le coeur de ceux qui auront grandi avec.
Note : 5/5