Les Espions de l'Aube - Les cocos flingueurs

Cliff Walkers, pour le coup le titre anglais est bien plus pertinent

Tandis que j'arpentais les rayons DVD de mon revendeur préféré, mon regard se posa par réflexe sur l'étagère où les nouveautés asiatiques sont en général rangées. Et alors que je fut déçu de voir que mon coup de coeur du début d'année Retour à Séoul n'était pas encore disponible que je découvrais avec surprise qu'un nouveau film de Zhang Yimou était disponible !

Réalisateur de certains des meilleurs Wu Xia Pian (citons au pif Le Secret des Poignards Volants, Hero, Shadow et La Cité Interdite), le gaillard s'est vu nettement moins distribué en Europe depuis que le Parti Communiste Chinois en a presque fait son cinéaste officiel (c'est d'ailleurs lui qui avait mis en scène la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de 2008), aussi ai-je embarqué le DVD des Espions de l'Aube sans me poser de question. 

Parce que pour une fois qu'un film de ce gars arrivait jusque sur nos étagères, il ne fallait pas laisser passer l'occasion ! Et pour l'anecdote sachez que le film est sorti en Chine depuis au moins deux ans... Quand je vous dis qu'il faut être patient et chanceux pour découvrir un film asiatique par chez nous ! De quoi me faire frissonner quand à la sortie du prochain Kitano, mais je m'éloigne.

Cette fois-ci il ne sera plus question de dynasties et de guerriers adeptes de kung fu plongés dans des triangles amoureux puisque à l'instar de son Flowers of War Yimou nous propose un nouveau film historique se déroulant au coeur des années 30. 

Qui pourrait soupçonner un regard aussi innocent ?

Contexte

Un avion traverse le ciel du Manchukuo et largue quatre parachutistes au milieu des montagnes enneigées. Deux hommes et deux femmes agents du Parti Communiste qui sont chargés de découvrir ce qu'il est advenu d'un de leurs camarades et de l'extraire. 

Malheureusement le chef d'équipe se rend compte très rapidement que les troupes venues les récupérer sont probablement des espions ennemis. La décision est prise de former deux groupes de deux et d'opérer ainsi que la mission était prévue en évitant de rentrer en contact les uns avec les autres pour qu'au moins un groupe ait une chance de réussir.

Bien qu'il ne s'agisse pas de la première fois dans la filmographie de Yimou que des espions soient au coeur de l'intrigue (inutile de rappeler les twists du Secret des Poignards Volants), c'est en revanche la première fois qu'il ne va pas enjoliver les choses avec de beaux costumes et des combats épiques. 

Peut être parce que l'époque où se déroule le film est encore assez proche de la nôtre, Yimou se montre assez sobre dans sa réalisation et va dérouler une intrigue bien plus complexe que pour ses Wu Xia Pian. 

De l'espionnage qui s'emmêle les pinceaux

Les premières minutes de métrage vont d'ailleurs annoncer la couleur puisqu'à peine quelques instants après avoir touché le sol du Manchukuo deux des quatre agents... Sont grillés ! 
Il ne sera ainsi pas question comme dans un film d'espionnage traditionnel de ne pas trahir sa couverture mais bel et bien de faire en sorte d'aider le second binôme à ne pas se faire repérer tout en évitant de montrer qu'on sait que nos alliés sont des espions... Vous avez mal au crâne ? Et bah prenez une aspirine parce que ça ne va pas aller en s'arrangeant !

Le film va effectivement nous présenter une bonne douzaine de personnages principaux et la première partie se montrera très floue sur les objectifs des communistes ainsi que sur leurs actions. On comprendra sans peine que les espions manchous les surveillent de près en se faisant passer pour leurs alliés, mais ce jeu du "je sais qu'ils savent mais je ne sais pas si ils savent que je sais qu'ils savent" n'est vraiment pas facile à suivre et on va forcément y laisser quelques plumes en essayant de comprendre qui fait quoi. 

Du coup il est avec qui lui déjà ?

Rythmé, mais sans vraie implication émotionnelle

Pourtant n'allez pas me faire dire ce que je n'ai pas dis ! 
Zhang Yimou a beau avoir conscience qu'il ne peut pas exagérer les scènes d'action comme pour ses films d'arts martiaux, il ne laisse cependant jamais passer une occasion de faire parler les flingues. 

A ce titre le film se montre plutôt généreux en affrontements avec des fusillades assez fréquentes notamment dans la seconde partie et qui pourront parfois être assez longues. Zhang Yimou est un metteur en scène qui excelle dans le spectacle et il n'a rien perdu de sa maîtrise à ce niveau là.

Si l'intrigue met ainsi beaucoup de temps à dévoiler ses intentions et à en dire suffisamment sur ses personnages pour que l'on sorte la tête de l'eau, le tout se suit sans déplaisir grâce à quelques moments de tension assez réussis ainsi qu'à l'action abondante.

Le hic c'est que les personnages ne sortent jamais de leur rôle d'espion et rares sont ceux qui bénéficieront d'un arc personnel. Il sera bien question des enfants d'un membre du commando, mais pour les autres ils ne seront jamais autre chose que des espions communistes avec de bonnes bouilles., ce qui ne suffit pas pour toucher le spectateur lorsqu'il y aura un mort.

Montage malicieux 

Mais si vous êtes patient, la deuxième partie du film finira par récompenser vos attentes.  Effectivement la narration va finir par revenir sur plusieurs moments cruciaux de l'histoire en nous en montrant davantage que ce que nous avions vu la première fois. 

Un procédé certes pas forcément inédit (on pense à Mother de Bong Joon-Ho) mais qui se montre malgré tout assez efficace puisqu'à aucun moment le montage ne laisse paraître le moindre indice pour nous laisser penser qu'il nous manquait une information ou une partie de séquence. 

Résultat le film parvient régulièrement à surprendre et à distiller ainsi une ambiance paranoïaque où à défaut de vraiment s'attacher aux personnages on se mettra à soupçonner tout le monde en guettant le moment où sera fait le premier faux pas. 

Alors, qui va donner le premier coup de pied au cul ?

SI Zhang Yimou n'a plus rien à prouver sur son talent en ce qui concerne les films de sabre, il est en revanche bien moins à l'aise avec les films au ton plus réaliste. 

Les Espions de l'Aube sans être non plus une catastrophe est un exercice d'équilibriste délicat auquel le cinéaste s'est un peu heurté. On ne va pas aller jusqu'à parler de ratage, mais en dépit de ses nombreux moments marquants et de son montage habile en plusieurs occasions l'histoire reste tout de même assez difficile à suivre. 

La reconstitution est excellente et on sent que le réalisateur a eu droit à un budget conséquent pour mettre en scène son histoire, mais hélas un beau visuel ne fait pas tout et le film pèche par le manque de consistance de ses personnages. 

Résultat en dépit du suspense palpable et de quelques gunfights pétaradants on finit par presque oublier quel est le but de tout ce bordel pour finalement plus subir les rebondissements que de les espérer ou les savourer. 

Note : 2.5/5