En 1994 alors que Tim Burton vient d'enchaîner les triomphes avec Beetlejuice, Batman, Edwards aux mains d'argent puis Batman II Le Défi, le cinéaste se frotta à son premier échec commercial avec un projet qui aujourd'hui encore semble assez atypique dans sa carrière : un biopic sur Ed Wood.
Réalisateur de films de série Z aux effets spéciaux scandaleux même pour l'époque, Edward D. Wood Jr fut deux ans après sa mort sacré pire réalisateur de tous les temps. Je me suis toujours demandé pourquoi Burton s'était lancé dans un biopic sur ce gars, car cela semblait bien éloigné de ses films de monstres et d'individus différents et incompris.
Pourtant en y regardant de plus près bien que Ed Wood ne soit pas le film le plus burtonien de son réalisateur on y retrouvera tout ce qui fait le charme de l'univers de Tim Burton, tout en réhabilitant au passage une personnalité raillée pendant des décennies.
Le pitch
A la fin des années 40, Ed Wood essuie échec sur échec au théâtre avec très peu de public et des critiques assassines.
Mais le jeune homme ne se laisse pas abattre et décide d'aller frapper à la porte d'un producteur de films de série B pour mettre en scène son premier long métrage. Au départ réticent, le patron du studio accepte le projet de Wood lorsque celui-ci lui apprend qu'il comptera au casting Bela Lugosi, un acteur culte ayant incarné Dracula.
Un artiste sincère ?
On a du mal à croire aujourd'hui avec un système aussi verrouillé que celui d'Hollywood qu'il fut une époque où un jeune homme rêveur et créatif pouvait allait proposer un scénario et ne pas se faire envoyer balader dans la foulée.
Ed Wood est ainsi un film assez nostalgique sur une époque où le cinéma était peut être plus accessible et où même un cinéaste maladroit comme Wood pouvait avoir sa chance.
Longtemps connu pour ses films montés à la truelle truffés de plans ratés et d'images d'archives qui n'avaient aucun lien apparent avec l'histoire, Ed Wood est ainsi dépeint par Burton comme un homme enthousiaste qui souhaitait simplement réaliser son rêve de faire des films.
Le pire réalisateur du monde sous les traits de Johnny Depp nous apparaît ainsi comme un homme sympathique à la personnalité étrange mais dont l'envie de créer était sincère en dépit du résultat catastrophique qu'il obtenait à chaque fois. Bref un personnage à la Burton.
Des personnalités burtoniennes avant l'heure
On comprend ainsi en quelques séquences ce qui a motivé Tim Burton a réaliser un biopic sur ce réalisateur : atypique, différent, étrange et moqué par la majorité, Ed Wood n'avait rien à envier à Edwards aux mains d'argent (tiens, le même prénom et une capacité créatrice certaine).
Mais le plus dingue dans tout ce projet réside dans la foule de seconds rôles qui semblent là aussi tout droit tirés d'un des contes gothiques de Burton.
Béla Lugosi qui ne quitte jamais son personnage de vampire, Vampira et son look à la Morticia Adams, Bunny Breckinridge et sa transidentité, Tor Johnson et son physique de troll... l'entourage de Ed Wood ne pouvait que parler à Tim Burton dont on ressent à chaque plan le plaisir qu'il prend à les ressusciter à l'écran !
Reconstitution soignée
Difficile de ne pas voir une sorte de miroir entre Burton et Wood qui partagent tous les deux cette envie de raconter des histoires de monstres avec des héros hors du commun.
L'hommage du premier au second passera par une réalisation qui là encore transpire le style de Burton tout en reproduisant à la perfection le noir et blanc des années 50 et les astuces de tournage.
L'amoureux de cinéma sera ainsi servi en matière de décors de studio et de techniques de tournage de type système D tandis que le choix des comédiens sera tout simplement troublant par moments, notamment Martin Landau en Béla Lugosi ou le temps d'une courte séquence Vincent d'Onofrio en Orson Welles.
Le soucis des biopics d'artistes
Malheureusement en dépit des nombreuses qualités du film j'ai malgré tout eu du mal à me plonger dans l'histoire.
Certes elle sera assez touchante et la réhabilitation de Wood par Burton est louable ainsi que compréhensible, mais je n'ai jamais été un grand fan de biopics consacrés à des artistes pour une raison : il n'y a pas vraiment de but scénaristique.
Un film m'a-t-on appris c'est avant tout une histoire.
Attention je ne dis pas que les biopics d'artistes ne racontent rien, mais ils ne peuvent pas tout raconter et souvent le tout s'achève sans mettre un point final à l'histoire. Ainsi récemment Bohemian Rhapsody s'est achevé au Live AID, Gainsbourg Vie Héroïque en plein milieu de la relation avec Bambou...
A contrario lorsqu'on suit un biopic sur un sportif (Eddie the Eagle) ou sur un militaire il y aura pour le premier un entraînement menant à l'établissement d'un record ou encore la survie à un évènement historique pour le second.
Ed Wood en revanche s'achève sur ce qui sera en quelque sorte l'apogée de sa carrière avec la sortie de Plan 9 from Outer Space donc on ne ressortira pas frustré, mais la construction du film ne donne pas vraiment de fil rouge à suivre qui aurait conduit logiquement le personnage jusqu'à la réalisation de ce film.
C'est pour cela que j'évite les biopics en règle général car je ne raffole pas de voir un enchaînement de moments de vie sans avoir une idée du but à atteindre à la fin.
Le film ne m'a pas non plus foncièrement déplu car l'affection de Burton pour Wood est palpable et que le jeu de Johnny Depp rend le pire metteur en scène du monde très sympathique.
De quoi se dire qu'on a vu de biens pires metteurs en scène, car je doute que des yes men façon John Moore soient aussi enthousiastes sur leurs plateaux de tournage que Wood ne l'était sur les siens. En ce sens le film a réussi son objectif.
Note : 3/5